Jeudi 20 février, la suite – Mirissa-Galle, sans passer par la case prison.

Les dix minutes qui nous séparent de Weligama nous suffisent à prendre une décision. Persuadés que l'inspecteur Labavure s'est fait glisser un joli gros billet dans sa poche, nous nous doutons que plus rien de concret ne se passera sauf une énorme et irremplaçable perte de temps. L'attitude des personnes présentes et dudit policier nous confortent dans cette idée. Pourquoi avoir radicalement changé et ne plus vouloir nous aider. Pourquoi ne pas nous avoir simplement fait signer un papier officiel pour ces vols ? Ça devient compliqué...

À la gare routière nous décidons de rester dans le bus et repartons en direction de Galle (prononcer Gaûlé d'une drôle de manière). Nous avons déjà perdu cinq précieuses heures avec cette misérable histoire, pas question de foutre en l'air le reste de la journée. De toute façon le peu que nous pourrions récupérer via les assurances ne justifie pas de gâcher le reste du voyage. Le coup de téléphone le soir à mon assurance Visa me confirmera cette décision. Tout article de plus de 90 jours n'est pas couvert.

Notre chauffeur est un être humain qui aime à retrouver sa famille le soir après son boulot, il roule normalement. Rapidement nous arrivons au terminus de Galle, devant les fortifications de cette grande ville d'un peu plus de 90 000 âmes, qui marque la fin géographique du sud de l'île.
Nous entrons dans la vieille cité par la porte principale, entre le bastion du Soleil et celui de la Lune. Je cherche un hôtel recommandé par des Français et cité dans le guide, le Frangipani. Sans avoir réservé, le doute sur les disponibilités est permis, alors il faut un peu forcer le pas et ne pas se tromper de direction pour arriver avant les autres passagers qui auraient également oublié de réserver. C'est un peu une course et le premier est souvent récompensé. Nous sommes les premiers, et trouvons deux chambres.

Le prix est bien sûr plus élevé que dans beaucoup de guesthouses, mais aujourd'hui c'est le dernier de nos soucis. Nous n'avons pas payé les chambres d'hier soir et avons donc un crédit de 3000 Rp. Dans nos calculs nous ne comptons pas l'argent et les objets volés, mais le matériel est secondaire et ne nous concernera qu'une fois rentrés de voyage. L'accueil de notre hôtesse est très sympathique et nous ne pouvons nous empêcher de lui faire part de notre mésaventure. Elle est choquée et compatis avec notre malheur, mais ne baisse pas le prix de la chambre. On aura essayé.

Le Serendipity Art Cafe (fermé depuis) nous tends les bancs en bois brut de sa terrasse et sa carte inventive. Et tout à coup nous savons pourquoi nous nous sentons aussi bien. C'est la toute première fois de notre voyage que dans une ville tout est aussi calme. Il n'y a pas de bruit de voiture, de pollution au gaz d'échappement, pas de klaxon intempestif ou de tuk-tuk grouillants comme des cafards.
Cette ville est une bulle dans l'intense cohue qui règne à quelques centaines de mètres.

En 1505, le hasard d'un coup de vent détourna une flotte portugaise vers ce port. Trouvant l'endroit joli, les marins y édifièrent quelques fortifications. En 1640 les Hollandais, avides de conquêtes, prirent la ville, détruisirent le joli travail des Portugais et en 1663, y édifièrent leurs propres remparts. Même si les Anglais finirent par occuper la place en 1796, les solides remparts bataves furent conservés et des siècles plus tard, sauvèrent les vieilles maisons du tsunami de 2004 et nous isolent cet après-midi du bruit des hommes.
Je vous invite à découvrir ce que Serendipity veut dire, j'aime beaucoup ses définitions.

Nous faisons le tour des remparts sous un ciel couvert mais peu menaçant. Le gris profond des nuages contraste avec les façades ocres et les tuiles rouges. Des amoureux, lovés dans des recoins centenaires se touchent le bout des mains, se susurrent des promesses d'amour éternel et rêvent aux nombreux enfants souriants qui vont courir dans le jardin.
Du haut des épais murs, la ville nouvelle mugie et se hâte dans tous les sens. Nous sommes si proches, mais à des lieux de toute cette folie, et notre matinée tumultueuse commence à disparaître comme un mauvais rêve.

Des enfants se lancent des balles de cricket. Un frappeur tape de toutes ses forces sur le petit boulet de canon lancé de main de maître et termine sa course deux mètres plus loin, dans le filet qui assure la sécurité. Ce filet n'est pas de première jeunesse et de temps en temps une balle trouve un passage et fini sa parabole dans un jardin voisin.

Nous descendons de notre perchoir et jetons un œil dans le hall de l'hôtel Amangalla. De vieilles dames riches y prennent un thé accompagné d'un plateaux à trois étages débordant de sandwichs ''pas d'croûte'' au concombre, de scones croustillants qu'elles recouvrent d'une cuillerée de crème fraîche et de confiture, de tartelettes aux fraises et de bien trop d'autres gourmandises. Aucune table ne réussi jamais à finir ses plateaux. Nous entrons en espérant y quetter quelques restes.
Les jolies jeunes filles du personnel sont superbement vêtues d'un long sari blanc et ligné de bleu, les hommes portent le sarong de la même couleur rehaussé d'une large ceinture. Ils nous accueillent comme n'importe quel autre client plus fortuné. La nuit la moins chère est à 400 dollars et je doute que nous puissions en négocier le prix. Nous sommes invités à nous poser sur des canapés, que dis-je, à nous écraser dans les coussins moelleux de l'immense salon et recevons le menu.
Notre accoutrement et probablement l'odeur que nous dégageons font tourner quelques têtes auxquelles nous sourions de toutes nos dents puisque nous, nous les avons encore.
Le cocktail au gin, feuilles de menthe, gingembre et citron vert a un goût incomparable. Il est comme un coucher de soleil parfait après une journée de pluie, un trajet en autobus sans klaxon. Nos guides posés sur la table font hausser les sourcils et quelques nez se pincent. Bien entendu nous nous sentons parfaitement à l'aise et usons de la situation, en hésitant pas à faire des photos comme de vulgaires touristes.

Comme toutes bonnes choses ont une fin, nous quittons ce lieu magique mais terriblement ennuyant, en regrettant de ne pas avoir le culot de quémander les restes des goûters, qui finiront à la poubelle.
Il est temps de profiter de ce que Galle offre, son architecture et ses boutiques. Le célèbre magasin Barefoot y tient une succursale et nous faisons découvrir aux filles ce que nous avions vu à Colombo. Des tissus splendides vendus au mètre, des nappes, chemin de table, sarongs, saris, foulards, bijoux, produits de beauté ayurvédiques, il y en a pour tous les goûts.

Je me dois de faire une parenthèse concernant l'ayurvédisme... À Bali nous avons été écœurés par le terme Spa qu'y était pour le moins galvaudé. Un spa ne peut pas être une simple baignoire limite propre, remplie d'eau et recouverte de pétales de fleurs. On s'attend à autre chose...
Au Sri Lanka, l'ayurvédisme est absolument partout. J'ai peur de trouver du chocolat, du curd ou des biscuits Munchee ayurvédiques. Loin de moi de me moquer d'une médecine plusieurs fois millénaire qui a depuis longtemps fait ses preuves et est reconnu par l'OMS comme une médecine traditionnelle officielle. Les plantes, les épices, la manipulation des corps peuvent soigner. D'ailleurs la médecine occidentale s'est rapidement emparée de ces secrets pour les transformer en pilules chimiques et nous les revendre plus cher. Mais trop c'est comme pas assez. La crème hydratante pour les pieds est une crème hydratante pour les pieds, et le terme ayurvédique fini par ne plus avoir aucun sens...
Ceci étant dit, si vous venez au Sri Lanka, il faut aller chez Barefoot.

Dans une rue perpendiculaire, la boutique Suthuvili Gallery (22, Pedlar street) propose un choix éclectique de masques traditionnels et d'art local. Son nom signifie ''penser différemment'', et ils le font très bien.
En se promenant le soir, le sentiment de visiter une vieille ville cubaine comme Trinidad mélangée aux rempart d'Aigues-Mortes se confirme. Les intérieurs des maisons s'éclairent. Nous y découvrons des splendeurs insoupçonnées, des mobiliers, des céramiques et des jardins invisibles le jour lorsque les portes et les fenêtres sont closes sur ces secrets. D'ailleurs un tiers des bâtisses appartient à des étrangers et se transforment en hôtels privés ou en maisons particulières.
Cela n'empêche pas Galle de toujours vivre au rythme des locaux qui évitent de la transformer en une citée-musée sans âme. Avant d'aller goûter au rice&curry de notre hôtesse, nous passons devant le Café Français, où, sur le comptoir trônent de jolies brioches joufflues et dorées à souhait. Nous parlons un peu avec le copropriétaire qui nous vient de l’Hexagone et nous nous promettons de venir déguster à ces viennoiseries demain matin.

Les currys de ce soir sont, à notre demande, composés de légumes. Il y a du riz pour 16 personnes et les plats ne finissent plus de s’amonceler sur une table recouverte d'une jolie couverture bleue toute tachée de la compagnie aérienne Oman Air. Nous goûtons pour la première fois au jacquier cuit. C'est bon, mais les noyaux dans les fruits sont comme des gros yeux de poisson et ce n'est pas super appétissant. Hélas pour Tiphaine nous avons oubliés de demander un menu peu épicé et elle en sera quitte pour commander une omelette. C'est vrai que ce soir ils ont un peu forcé la dose.

Enfermés à triple tour nous allons enfin nous reposer dans ce lit immense recouvert d'un baldaquin anti-moustique. Je n'arrive même pas à faire dépasser mes pieds du matelas.


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