Mercredi 5 et jeudi 6 mars – du 54, soi Ngam Duplee, Bangkok à la rue de Bordeaux, Montréal...

Elle est là. 
Cette dernière journée tant redoutée. Depuis le réveil, nous savons que l'ultime compte à rebours a commencé. Dans quelques heures nous serons à l'aéroport, penauds et tristes de quitter l'Asie pour retrouver les plaines gelées de notre lointaine province. 
Hier soir, nous avons fait une simulation de remplissage de bagages. Étonnamment, nous arrivons à tout ranger dans nos sacs à dos. Il faut avouer que Poste Thaï nous a donné un sacré coup de main avec ses tarifs défiant toute concurrence. 
Nous avions d'abord renvoyé nos excédents de vêtements après avoir constaté sur nos photos que nous portions les mêmes shorts et t-shirts tous les jours. L'achat d'un petit sachet de lessive liquide a remplacé 6 kilos de fringues inutiles. 
Les thés et épices acquis au Sri Lanka ont eux aussi pris le chemin des boites aux lettres et ont libéré beaucoup de places pour les achats faits à Bangkok. Plus jamais nous nous ferons avoir par les DHL et autres FeDex qui coûtent chers et sont accompagnés d'une facture salée de taxes de douane. 

Toute la journée se passera au bord d'une piscine, à profiter des derniers rayons de ce chaud soleil. Roulant de la chaise longue aux eaux turquoise de ce petit havre de paix en dégustant quelques cocktails. 
Nous ne savions pas que le grand monsieur qui nous regardait bizarrement était Français. Une chance que nous avons fait nos réflexions à voix très basse concernant son sublime travail de tapisserie à l'aiguille. Un pot de fleur posé sur une table devant un paysage simili-champêtre orne le petit tamis posé sur la table basse. Non, ce n'est vraiment pas beau, mais il s'applique et je le vois mal jouer à la Gameboy... 

En entendant nos intonations, il s'est aventuré à nous adresser la parole et a ainsi abandonné ses travaux d'aiguille. Nous n'avons jamais su son nom et l'avons donc en l'honneur de son âge et de son origine rebaptisé Papy Normandie. Il est adorable, 76 balais et toujours fringant. 
Il trimbale sa carcasse de son village normand humide et vert à la Thaïlande tous les hivers. Personnage sympathique et sociable, il parvient à lier connaissance facilement avec son entourage. Ses nouveaux amis se font un plaisir de l'inviter, qui en Australie, qui en Inde où il part d'ailleurs ce soir. 
Il ne voyage qu'en première classe, car, dit-il, son anatomie ne supporte pas les sièges trop étriqués de la classe éco. Soit. 
Nous parlons de ses voyages, des nôtres, de la hausse des taxes et des baisses des retraites en France. Je l'envie d'ainsi profiter de la vie et de voyager à l'autre bout du monde à son âge. Il nous appelle les jeunesses et nous enjoint de ne jamais lâcher le goût des voyages et des rencontres. De continuellement partir à la recherche de situations inattendues et de surprises qui permettent de vieillir en beauté. Il nous fait promettre de visiter très bientôt le Myanmar qu'il a adoré et d'éviter d'entrer dans le moule des gens ordinaires. 
Je veux adopter cet homme comme le grand-père que je n'ai jamais connu ! Nous le laissons partir boucler son sac de pèlerin pour ses prochains jours d'escapade et attendons que le soleil ait fini sa course avant de regagner notre chambre d'hôtel.  

Il est presque temps de boucler les sacs, mais avant nous allons découvrir le discret Just One Thaï, recommandé par notre Papy Normandie. Un resto juste au coin de la rue qui propose un épais menu et des produits de la mer pour des prix vraiment alléchants. Quatre grosses king tiger praws, des crevettes géantes délicieuses, feront une excellente mise en bouche. 
Ensuite, nous nous fions à ce qui nous paraît le plus évident : le hasard. Qui fera bien les choses puisque tous les plats servis seront tous très bons et le service décousu à merveille. 

Plus de dérobades possibles, il est temps de glisser nos derniers achats dans nos sacs et de les fermer. L'habileté va être de mise pour combler tout interstice distrait. Terminé le remplissage à la va-vite en prévision d'une course vers un bus. Avant, dans nos sacs, il suffisait de jeter un peu n'importe comment nos maigres kilos de vêtements et ça finissait toujours par rentrer. Mais après avoir relu les comptes-rendus des derniers jours et constaté que mon petit porte-monnaie déborde de relevés de carte de crédit, je me rends compte que ce soir, il va falloir ruser. 
Nos sacs sont pleins et bouclés. Cette fois-ci s'est bien terminé. Le check-out se passe rapidement, le vieux monsieur chinois habituellement désagréable est même rigolo lorsqu'on lui dit quelle température est prévue au Canada pour notre arrivée. Il fait mine de tomber dans les pommes dans un congélateur. C'est aussi ce qui risque de nous arriver bientôt. 

Les taxis de l'hôtel ne nous demandent même pas où nous allons, trop occupés à jouer avec leur téléphone. Nous marchons quelques mètres sur le trottoir, le mur rayonne encore de la chaleur accumulée, il est 21 heures. Un taxi rose bonbon s'arrête à côté de nous et nous embarque pour Suvarnabhumi à 30 kilomètres de là. 
Le poids des sacs dans le coffre fait geindre les suspensions fatiguées, le moteur fait un drôle de bruit, mais le chauffeur est persuadé que nous y arriverons. À peine embarqués sur l'autoroute, un énorme ralentissement nous force à nous arrêter. Nous ne voyons rien d'autre que quelques gyrophares et l'heure qui tourne. Après dix interminables minutes, la circulation reprend sans que nous ayons jamais su ce qui s'était passé. La voiture file dans un dernier souffle asthénique vers notre destination finale. En seulement trente minutes et 240฿ (plus les péages de 50 et 25฿) nous sommes déposés devant l'immense et triste porte des départs. 
Évidemment, les comptoirs d'enregistrement de la JAL sont à l'autre bout de l'immense hall, mais nous ne sommes pas vraiment pressés. Les comptoirs sont encore vides de passagers, nous sommes les premiers. 
Tout va très vite, les sacs sont pesés, 18 kilos, soit 8 kilos de plus qu'il y a 40 minutes. Dûment étiquetés, ils glissent sur le tapis noir en direction de New-York où nous devrons les récupérer pour les réenregistrer. La douane me met à nu dans leur nouveau scanner où je ressemble à un mec en train de se faire arrêter par une armée de policiers mal informés. Au moins, c'est rapide en plus d'être ludique. 

Nous avons trois heures devant nous pour visiter tous les magasins hors taxes (le duty free français) et nous rendre compte que les voyageurs sont vraiment pris pour des cons. 
Pour moi, littéralement les magasins hors taxes sont des magasins qui vendent des produits d'où les taxes ont été enlevées. En toute logique, on devrait donc trouver des prix bien plus intéressants dans les zones détaxées des aéroports que nos villes surtaxées... Hé bien non ! 
Non seulement ce n'est pas détaxé, mais souvent c'est encore plus cher que dans le petit 7 Eleven du coin de la rue. Par exemple, la petite bouteille de Sang Som que nous avons acheté 500฿ est vendue ici 750, et c'est pareil pour tout le reste. Payer plus de 30$ pour une tablette de chocolat s'est un petit peu exagéré où c'est moi qui suis en train de devenir radin ? 
De toute façon, nous n'achetons rien et les quelques billets qui nous restent seront mis en sécurité au fond du porte-monnaie de voyage pour un prochain séjour. 

All passengers on the flight JL006 to Narita International Airport, are requested to submit F6 door for immediate boarding. 
Tiens, mais c'est nous ça... Derniers bye-bye en direction supposée de la Cité des Anges (bien avant Los Angeles), embarquons dans l'avion et cherchons nos sièges, rangée 48. Il n'y a pas de place pour les pieds, deux boites métalliques en dessous des sièges de devant bloquent tout accès au confort. J'aimerais bien les bourrer de coups de pied, mais comme je ne sais pas si c'est un élément indispensable pour la sécurité de ce vol, je m'abstiendrais. Nous ne sommes qu'à cinq heures de Narita, normalement le vol suivant devrait être plus confortable. 

Au revoir Krung Thep mahanakhon amon rattanakosin mahintara ayuthaya mahadilok phop noppharat ratchathani burirom udomratchaniwet mahasathan amon piman awatan sathit sakkathattiya witsanukam prast, ça a été un plaisir de voir que tu te portes bien, je dirais même de mieux en mieux. 
Nous serons très heureux de te revoir très vite, mais en attendant, nous allons gagner de quoi revenir. 

Aéroport international de Narita, préfecture de Chiba, Tokyo, Japon. 
L'atterrissage est acrobatique, les rafales de vent font tanguer la carlingue du gros Boeing et le tarmac ne veux pas s'aligner face à la caméra de proue. Secondes d'angoisse...
Finalement, les roues se posent, chacune leur tour et nous réussissons à débarquer, un peu flageolants, dans le grand terminal. 

Il est quelque part dans un fuseau horaire de passage, l'heure de l'apéro. Les whiskys japonais sont réputés, et le magasin dans lequel nous jetons notre dévolue offre les dégustations pour tous leurs produits. J'aimerais aller au bout de la rangée de Hibiki, mais la cinquième (ou septième) bouteille semble remporter tous les suffrages. Un Nikka élevé en fût de chêne pendant 21 belles années se promène maintenant avec nous vers les sièges confortables de la salle d'attente. 

Au Japon, même si t'as pas envie, il faut y aller. Les toilettes méritent une visite et le confort est à la hauteur de mes attentes. Le siège est chauffé, la musique est douce et le jet d'eau tiède est aussi surprenant que relaxant. J'y passerais bien le reste de mon heure d'attente, mais ça risquerait de paraître suspect. 
En tout cas, envie pas envie, il faut aller faire un tour dans les toilettes d'un aéroport japonais. 

La traversée de l'océan Pacifique sera plus confortable, les jambes allongées loin sous le banc, le dossier penché, je peux enfin regarder tous les films proposés sur mon petit écran tactile incrusté dans le fauteuil devant moi. Malheur, il y a trop de choix pour que je puisse fermer l'œil pendant ces 13 heures de vol. Alors je profite des allées et venues des charmantes hôtesses pour commander des gin tonic, qu'elles servent à la perfection. 
À défaut de faire un somme réparateur, j'aurais fait un apéro pendant 10 842 kilomètres pendant que mes co-passagers ronflent. 

Nord de l'Amérique du Nord à travers mon petit hublot où l'aube s'installe.
Le paysage a changé, les plaines désolées et les arbres effeuillés remplacent les montagnes vertes et les plages dorées. 
Nous l'avions presque oublié, mais nous ne sommes pas seulement revenus au pays, nous sommes aussi de retour en Hiver. Ici, on y met un H majuscule à notre Hiver, il a été à la hauteur cette année et nous le fera savoir pendant les semaines qui vont suivre. 

Aéroport International John-F. Kennedy, Queens, New-York, USA.
Très étrangement notre passage aux douanes américaines se passe bien. Je crois même que mon cerbère a émis un sourire, mais n'en suis pas certain. 
Par contre, les employés de l'aéroport sont des sergents hurleurs qui aboient leurs consignes aux passagers, et ne donnent nullement envie de rester dans ce pays de paranoïaques. 
Je suis heureux de n'être qu'en transit, même si j'adore New-York, j'ai hâte d'arriver chez nous. 
Nous ne pouvons résister à l'appel d'un burger que le serveur nous propose au format démesuré american style et nous demande la cuisson de la viande. De la viande !
Hors de prix, mais c'est un aéroport et le service à l'américaine fait oublier les excités qui nous ont accueillis. 

Il y a un peu plus d'une heure, nous avons presque survolé Montréal. Nous en avons maintenant pour cinq heures d'attente avant de pouvoir monter dans notre dernier coucou d'American Airlines où des enfants à bout de nerfs hurleront pendant 80 minutes et s'endormiront au moment où l'avion se posera à Montréal. Je suis heureux de posséder ces indispensables bouchons pour les oreilles et mon manque cruel de sommeil contre lequel je combattais, me fait endormir dès que je touche le fond du fauteuil. 

Je n'ai rien vu du décollage, par contre une heure plus tard je m'aperçois très bien dans ce virage serré au-dessus du sud des îles de Boucherville qu'il y a beaucoup trop de neige. Le pilote annonce une température polaire. 
J'ai déjà besoin d'un autre voyage. 

Aéroport international Montréal-Trudeau, Dorval, Montréal, Québec, Canada.
Le taxi nous transporte à travers des avenues froides aux bas-cotés recouverts de neige noire. Le ciel est bleu, le soleil prend un malin plaisir à nous narguer. Le centre commercial Rockland est d'une tristesse sans pareil dans nos souvenirs de Siam. Il va vite falloir reprendre nos esprits, mais pas ce soir... 

Du 54, Soi Ngam Duplee à la rue de Bordeaux, 16 035 kilomètres et 33 heures de voyage nous séparent. La planète Mars me semble plus accessible.

C'est fini, nous sommes de retour, nos sacs sont défaits, c'est un peu le bordel dans l'appartement trop petit et dans nos esprits. Le gargantuesque burger new-yorkais traine encore dans notre système digestif, nous nous contenterons d'une théière de FBOP et d'une émission de ... voyage en Indonésie. 

 Et si on repartait demain ?
 

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