Samedi 1er février – Le professeur Tournesol est jardinier !

La journée commence par une marche le long d'une route trop fréquentée sous un soleil de plomb. Nous voulons aller à Ao Nang qui se trouve à environ 4 km, mais les bus ne sont pas légion. La chance nous sourit et nos pieds éprouvés par les exercices intenses qu'ils ont subis la veille nous en remercient. Un sărng·tăa·ou (taxi collectif littéralement ''deux rangées'') s'arrête lorsque je lui fait un signe de la main et pour 40B nous emmène vers le centre-ville où nous allons louer un scooter. Un moyen un peu plus pratique et économique que le taxi ou le bus.
Nous descendons au bourg, stationnons la machine et nous promenons sur le bord de mer. Ici la plage est étroite et toute coincée contre la digue et la route. Ça a l'air particulièrement agréable de poser sa serviette dans ce coin là... Nous nous dirigeons vers l'est, quelques hôtels se partagent l'espace, des masseuses nous proposent des soins en traînant infiniment sur le A de massaaaaaaaaaaaaaaaaaaaage, tandis que d'horribles têtes tressées invitent les petites filles à ressembler à leur maman en pleine crise d'adulescence. À l’extrémité de ce bout de plage, une rivière, le Rio Crado jette ses flots immondes dans une mer intoxiquée. Le recyclage est encore une utopie et jeter une bouteille ou un gobelet en plastique à la poubelle une option peu envisagée. La plage est tellement plus pratique, de toute façon dans quelques heures la marée aura vite fait de tout nettoyer.
Nous quittons ces lieux paradisiaque et roulons en direction de nulle part. Les formations karstiques hantent le paysage de leurs immenses silhouettes et donne à cette région un décor si particulier. Je suis fier d'avoir décris toute une journée au pays des formations karstiques sans en citer une seule fois le nom, car ici le mot karstique c'est un peu comme le ostentatoire que l'on a entendu au Québec pendant tout l'automne. Il y en a partout !
Intrigués par une pancarte indiquant une visite gratuite d'un jardin d'épices, nous décidons de profiter de cette attraction.


Nous sommes accueilli par un petit bonhomme qui se trouve être le propriétaire de ce beau jardin. Un pharmacien hollandais à la retraite qui a décidé en 2003 de défricher un coin de cette jungle impénétrable pour en faire un jardin éducatif. Des plantes aromatiques, médicinales et alimentaires y ont trouvé un terreau et un climat idéal pour leur croissance. Le fringant septuagénaire galope dans tous les sens, nous expliquant en anglais et un peu en latin ses plantes et leurs propriétés et il marcherait encore plus vite s'il ne perdait pas continuellement son pantalon. Un passionné qui se refuse à vendre la moindre de ses racines ou de ses baies et qui nous fait partager sa passion.
Une famille se joint à nous, les deux petites filles posent avec entrain devant chaque plante pour le plus grand plaisir de leur mamarazzi, mitraillant sa progéniture comme si elle devait être enlevée par des extra-terrestres dans la seconde.
Hey ma grande, si tu me vole encore une feuille dans ma main tu va la prendre quelque part, maudite mal élevée ! 
La curiosité exacerbée de la plus jeune sera durement réprimandée par une armada de fourmis rouges géantes comme seules les Tropiques peuvent en inventer et finira dans les bras de son papa qui commençait à apprécier le calme de ce jardin.
La visite se poursuit, nous sentons des feuilles, des fleurs, poivriers, caféiers, des écorces, des racines, des bulbes et des lianes, et à chaque fois essayons de mettre un nom sur ce parfum que pourtant nous connaissons. Écorce de cannelle, galanga, fleur de gingembre, feuilles de combava, tiges de citronnelle, piment, et autre arômes se mêlent et s'amusent à troubler nos sens pour le plus grand plaisir de ce professeur Tournesol exotique et survolté.
Les fourmis sont friandes d'un grand figuier et nous accompagnons dans la douleur la petite blonde, mais son papa a déjà les bras pleins, nous nous contenterons de taper des pieds pour en faire tomber les curieuses guerrières aux mandibules acérées.


André pousse un cri d'horreur en voyant un énorme lézard attraper un petit rat aux oreilles rondes, mais je serais le seul à reconnaître cette intonation et à m'en inquiéter. Le gros reptile est en train d'escalader un tronc d'arbre avec dans sa puissante mâchoire le pauvre rongeur qui se débat et tente encore de fuir. Peine perdu, le saurien tient à son goûter comme un Anglais sa pinte de bière tiède et seule mon intervention photographique fera lâcher prise à l'animal. Je manque de recevoir la boule de poils tremblotante au terme de sa courte existence en pleine face, et l'évite de peu. Un souffle de vie parcours encore la bestiole et son agonie sera de courte durée, j'imagine l'impatience du reptile à nous voir déguerpir pour enfin passer à table.
Mine de rien, deux heures sont passées, ce jardin est bien plus grand qu'il n'y paraît et surtout il y a tant de choses à voir. Un petit billet glissé dans le pot à pourboires et nous quittons sa Majesté des fourmis pour quelques kilomètres de balade à travers cette jolie région.


Sur le chemin du retour un grand marché vient d'ouvrir et nous ne pouvons résister à une visite. Les parfums sont intenses, le visuel n'est pas mal non plus. Ça commence par quelques gaufres sucrées, un monsieur très désagréable broie des cannes à sucre pour en extraire un délicieux jus sucré et nous fait un prix d'ami, une jolie jeune fille voilée tourne des crêpes aussi rapidement qu'un Bigoudène expérimentée, des fruits bien mûrs remplissent des étals appétissants et ensuite commence le vrai plaisir. Un marchand d’œufs fécondés propose une dégustation gratuite avec un grand sourire édenté, les poissons frais sortis de la mer d'Andaman bougent encore, les viscères de poulets côtoient de la viande hachée du même animal, des pattes de poules frites, du poumon et des abats de je-ne-sais quelle bestiole, des bassines de pâtes de curry, des galettes de fruits de mer frites, des moules géantes, du poisson séché, des coquillages, beaucoup d’œufs de caille, et pour finir avec cette rangée, des limules. Surnommé crabe au sang bleu, il est en fait de la même famille que les scorpions et les araignées et il compte 500 millions d'années de présence sur notre planète, mais ça ne le rend pas plus appétissant...


Finalement il y a tout un tas de choses que j'aurais aimé goûter dans ce marché. Certes les conditions d'hygiène ne sont pas du tout aux standards auxquels nous sommes habitués, mais les Thaïlandais cultivaient déjà du riz alors que nos ancêtres mangeaient des racines et du lichen en poussant des grognements...


Le coucher de soleil sur l'immense plage désertée par la mer nous offre un dernier spectacle magnifique. Les ombres de promeneurs s'allongent sur le sable doux. Les rayons glissent sur les flaques d'eau en renvoyant des myriades d'étincelles vers les étoiles naissantes. 
Je sais pas pourquoi mais j'aime le lyrisme des fins de journées...

. 



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...