Mardi 14 février – El Calafate

La fête des amoureux, c’est tout le temps, mais nous allons quand même souligner ce jour en nous offrant une virée encore plus au sud. J’ai l’impression que depuis deux semaines, nous ne faisons qu’être plus au sud du sud tous les jours. Ce pays n’est-il donc qu’un sud sans fin ?

Et puisque le temps nous est compté, nous avons opté pour un vol vers El Calafate, 1300 kilomètres au sud de Bariloche. Nous avions bien sur l’option plus économique de prendre le bus pendant 24 heures, mais à bord de notre aéroplane, nous rejoindrons la ville en 1 heure 45. Et puis le paysage est tellement beau vu d’en haut !

Nous avalons rapidement quelques brioches dans la salle à manger avant d’attraper un taxi au bord de la route. Le transfert en bus est long et ne passe pas assez régulièrement pour que nous soyons à l’heure à l’aéroport qui se situe à une quinzaine de kilomètres de la ville. Le chauffeur a une immense route vide devant lui et fonce tête baissée vers la zone d’embarquement.

Finalement, nous avons largement le temps de visiter la salle déserte avant de nous enregistrer et de monter à bord du Boeing 737.
Les Andes à droite, les plaines sans fin à gauche et partout autour un paysage désertique.

Quelques lacs céruléens ponctuent la lande infinie, les azurs clairs cèdent la place à des bleus laiteux, taches colorées perdues au milieu du beige ennuyant du désert. Si d’aucuns sont intéressés de savoir d’où viennent ces couleurs irréelles, il suffira de lire la journée du mercredi…

À 11 heures 10 notre avion se pose sur le tarmac de l’aéroport d’El Calafate. La température a chuté, mais le ciel est dégagé et le vent, si fameux dans cette région du monde semble au repos aujourd'hui.

Nous attendons que le van de VES se remplisse. Moins cher que le taxi, il est l’équivalent du Transvip chilien, un bon compromis entre le bus et le taxi. Après avoir croisé deux nandous, des tonnes de lapins sauvages, quelques renards, nous arrivons dans les faubourgs de la petite ville patagonne. Le chauffeur dépose les touristes à leurs hôtels respectifs.
Nous débarquons les derniers à l’Hostel del Glaciar Pioneros, un genre d’auberge de jeunesse avec ambiance festive, grands espaces communs, mais au prix d’un vrai hôtel, à la hauteur de la situation géographique. 

Il faut compter au moins 70$ pour une chambre double, le petit-déjeuner, sous forme de buffet, est inclus. Il y a bien sûr des lits (23$) proposés en dortoir, mais nous laissons ces places aux backpackers désargentés, tourdumondistes au budget serré et autres jeunesses en quête de communauté de voyageurs.
La bonne humeur et l’accueil agréable, et en français, sont appréciés, la chambre très confortable, je profite de la disponibilité pour réserver une nuit supplémentaire. Par contre ensuite, tout est complet. 

Ce week-end, c’est le début de la Fiesta del Lago, et tous les humains des immenses alentours se dirigent inexorablement vers les lumières festives d'El Calafate. Nous sommes tombés sur la seule fin de semaine où il sera absolument impossible de trouver un lit dans n’importe quel hôtel, B&B, AirBnB, Camping, auberge, ou même coin de trottoir à l’abri de la pluie… Ou alors à des prix complètement délirants.

El Calafate est officiellement fondée aux alentours de 1927 au milieu d’un grand désert bordé du lac Argentino, le plus grand des lacs de Patagonie. Environ 17 000 personnes habitent la ville en permanence, les touristes doublent, voire triplent la population locale lors de la belle saison et de la fameuse Fiesta.
Le calafate est un buisson épineux du sud de la Patagonie dont les baies, qui ressemblent à des bleuets, sont comestibles et on les trouve en abondance dans les desserts, confitures et glaces vendus en ville.

La ville est la porte d’entrée du parc national Los Glaciares, et de son réputé glacier Perito Moreno

Notre projet de demeurer un peu plus longtemps ici tombe à l’eau aussi sûrement que la pluie qui s’invite dans les prochains jours. 
Notre expédition dans le parc du mont Fitz Roy que nous avions prévu à partir d'El Chaltén, un petit village au nord, est également compromise. Aucune chambre n’est disponible et tout est très cher. En plus, les prévisions météo sont très pessimistes.

Mais là, tout de suite, il fait beau et nous voulons en profiter avant que les nuages ne s’amoncellent au-dessus de notre bonne humeur. La Zorra, un joli resto/bar nous ouvre ses portes et ses pintes de bière maison, l’accueil est à la hauteur des conditions rudes du pays, généreux et souriant.

Confiants, nous allons parcourir toute la ville à la recherche d’une chambre. De rues, en ruelles, en venelles, en hôtels, auberges, piaules, nous repartons bredouilles à chaque fois. Une seule demoiselle nous dit que peut-être, incidemment, possiblement, mais c’est loin d’être certain, une chambre pourrait éventuellement se libérer vendredi. Il faudrait repasser à ce moment-là. 
Houla, il y a bien trop d’incertitudes et nous n’avons pas le temps de vivre avec des hypothèses. On verra ça demain.

Cette promenade nous a permis de constater que El Calafate est la capitale de la lavande. Les buissons odorants embaument l’air, partout les jolies fleurs bleues explosent de parfums, les bouquets sont des bosquets devant les maisons, hormis la température un peu fraîche, on se croirait dans un grand champ provençal. 

Des couples d’ibis à face noire, aimables oiseaux aux grands becs recourbés, cherchent leur pitance dans les pelouses et se content fleurette en poussant quelques cris assez peu mélodieux, coincés quelque part entre le canard et la roue de vélo mal huilée.

À la station-service, des motards sérieusement équipés pour l’aventure remplissent les réservoirs de leurs BMW. Pneus de rechange, équipement complet pour vivre plusieurs jours en autonomie, ces fanatiques de la fameuse Ruta 40, une balade de santé de 5 000 km, qui débute (ou termine) à la frontière bolivienne au nord, font une escale avant la dernière ligne droite pleine de virages qui les mènera à Rio Gallegos aux confins des côtes de l’océan Atlantique.


Nous partons ensuite à la découverte de la Reserva Laguna Nimez, un site protégé au nord de la ville où de nombreux oiseaux ont élu domicile.
Nous nous acquittons de la petite obole demandée à l’entrée, et, munis du plan du site illustré de quelques photos des animaux les plus communs, nous parcourons le doux sentier entre terre et lagune.

Tout est serein, la tourbe est douce sous nos pas, le vent est faible et le ciel change toutes les deux secondes. Au loin, les sommets de la cordillère des Andes dominent majestueusement le paysage.

Les pics enneigés, les nuages et le ciel se reflètent dans le miroir parfait des eaux de la lagune. Le vrombissement de quelques bourdons lestés de pollen se perd dans les buissons en fleur

Nous nous prenons rapidement au jeu d’ornithologues amateurs et nous déplaçons en silence et en prenant mille précautions pour ne pas effrayer la faune aviaire. 
Ici, une Annumbi alouette, perchée au faîte d’un arbre ; là, un canard au bec bleu, l’érismature des Andes ; le bruant chingolo que j’aurais appelé plus simplement un moineau ; plus loin, plusieurs Caracara chimango, un petit faucon dont plusieurs jeunes sont encore un peu étonnés de porter des ailes et de leurs premiers vols.


Nous n’avons jamais vu et ne connaissons bien sûr aucune de ces bestioles, mais le cadre et la sérénité de l’endroit en font un lieu idéal pour se pencher un peu sur le sujet. Le sentier serpente entre les talles de pâquerettes, le soleil va et vient derrière quelque rares nuages, il fait bon se promener dans ce lointain sud patagon.

De l’autre côté de la dune, l’immense lago Argentino étend ses eaux bleues laiteuses que ponctuent de leurs couleurs éclatantes quelques flamants roses. Nous avons la chance d’admirer un couple de Coscorobas blancs, des palmipèdes magnifiques au bec rouge qui n’ont pas su trouver leur place entre le cygne et l’oie. 

De colossales Ouettes de Magellan déambulent paisiblement entre les plantes rabougries, des vanneaux téro gambadent sur la plage et s’envolent rapidement au moindre doute. Les flamants roses sont trop loin, inutile de leur courir après.

Nous repassons le petit cordon dunaire et terminons cette promenade entre les milliers de fleurs qui tapissent le sol et le marais où s’ébroue une foulque noiraude au bec jaune vif. C’est un vrai bonheur de découvrir toute cette faune, nous n’avons même plus à nous forcer pour ressembler à de vrais ornithologues.


En reprenant le chemin de notre hôtel, nous tentons encore de croire qu’une chambre puisse s’être libérée. Mais au cours de la journée de très nombreux festivaliers sont arrivés, et il est illusoire d’espérer. Têtus, nous faisons quand même quelques portes avant de nous résigner et de décider que nous quitterons El Calafate plus tôt que prévu.

Complètement vidés par une journée où nous avons battu tous les records de marche, nous regagnons notre chambre. Il est tard, nous souperons avec quelques biscuits secs, le moral est un peu en berne.



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