Lundi 22 février – Yangon – Souvenirs coloniaux, richesses et pauvreté

Il fallait bien que ça arrive. 
C'est le dernier jour au Myanmar, le dernier de ces 24 jours qui sont passés tellement trop vite. Mais il n'est pas encore l'heure de verser notre larme, nous avons toute une journée à remplir… 

Ce matin, après un petit-déjeuner frugal, nous nous renseignons auprès du jeune homme de l'accueil de l'hôtel, pour savoir où nous pourrions trouver nos fameux sacs tressés, photos à l'appui. Il nous conseille d'aller traîner du côté d'un petit marché public à quelques minutes de marche vers le nord. 

En route, nous croisons encore ces gens aux pigeons. Assis au bord du trottoir, ils tiennent commerce de graines de maïs et je n'ai jamais su à quoi ça servait… 
Par contre, les pigeons eux, le savent très bien. 

 Ailleurs, ce sont des fagots de riz suspendus à des poteaux électriques qui nourrissent les moineaux, trop heureux de trouver ici un buffet à volonté. 

Un temple indien décore le ciel gris de sa statuaire colorée aux innombrables idoles. Comme il y a plus de 30 millions de divinités dans l'hindouisme, les décorateurs peuvent laisser libre cours à leur imagination... 

Des marchandes de crêpes tiennent commerces sur le trottoir. Par en dessous, elles font cuire la pâte épaisse et recouvrent le tout avec un petit fourneau au charbon de bois, bricolé dans une tôle recourbée. Du génie à l'état brut.

Je ne peux résister à ma gourmande faiblesse pour le jacque, gigantesque fruit du jacquier - il peut peser plus de 30 kilos - que l'on trouve partout en Asie. Même s'il lui ressemble un peu, ce fruit n'a rien à voir avec le durian et son insoutenable odeur. 

Sa couleur jaune crème et son doux parfum aux accents d'ananas et de mangue sont une gourmandise dont je ne me lasse pas. En Thaïlande, on trouve facilement des sacs de fruits séchés pour faire durer le plaisir au retour de voyage.

 Après de longues minutes de marche dans la touffeur de ce début de journée, nous arrivons au marché de Pazun Daung
Les premières allées sont consacrées aux objets usuels, mais seuls quelques sacs décolorés par le soleil et salis par la poussière sont visibles. Au fond, vers la rivière du même nom, sont installés des marchands qu'il n'est nul besoin de voir pour savoir qu'ils sont là. Les odeurs fétides et lourdes du sang et de la mort embaument l'atmosphère. Les poulets, cochons et poissons s'étalent pèle-mêle sur les étals dans une joyeuse débauche d'horreur. Le paradis des végétariens ! 
Mais, l'odeur très forte en cette heure matinale n'est pas du tout du goût de certains estomacs un peu dérangés par l'absorption de quelques amibes. Je dois vite entraîner mon équipier, au teint terreux, vers des zones un peu plus neutres. 
Il fait très sombre et l'air est lourd, on doit certainement trouver de tout ici, mais assurément aucune des affaires que nous cherchons. Tant pis. 
Je le répète : c'est beau, tu le veux : tu l'achètes ! 
Nos bagages seront moins lourds et surtout moins volumineux. 

Dans l'après-midi, je pars à la découverte des anciennes bâtisses coloniales qui trônent encore fièrement le long du fleuve. Ça n'allait déjà pas très bien dans le pays lorsque les militaires étaient au pouvoir, mais le coup de grâce vint du déménagement des institutions administratives. 

En 2007, la peur d'une invasion par la côte et la centralisation du contrôle des provinces rebelles seraient à l'origine du déplacement de toute une partie de l’administration vers Naypyidaw. Le peu d'entretien des bâtiments est alors abandonné, et les vieilles pierres sont exposées aux affres des conditions climatiques difficiles du pays. 

Depuis peu, des travaux semblent redonner un peu de lustre à ces édifices très abîmés. 
Je commence par longer la façade nord de l’énorme ensemble de briques rouges du Minister's building. Achevée en 1902, cette construction était le siège du gouvernement anglais. C'est ici que le général Aung San, le papa de la Lady, fut assassiné en 1947.
Abandonnée lors du déplacement de la capitale en 2005, elle ne fut jamais entretenue. En 2008, le cyclone Nargis a soufflé le toit en tuiles, dont il ne reste pas grand-chose. 
On parle de le transformer en musée et/ou en hôtel de luxe, mais pour l'instant, il n'y a pas l'ombre d'un plâtrier… 

Je passe devant la banque Ayawaddy, ancien département de l'Immigration, puis devant l'hôtel de ville qui date de 1936. 

Un peu plus haut, sur la rue Paya Sule, la caserne des pompiers, qui date de 1912, abrite quelques véhicules que l'on croiraient sortis d'un musée. 

Traversant le parc Bandoola, je souris en voyant un enfant faire la star sous un Chinthe, cet animal mythique, mi-homme, mi-lion, gardien des temples, des sites remarquables et des billets de banque. 
D'ailleurs c'est une des frustrations de quelques habitants rencontrés, il n'y aucun humain sur l'argent… 
Ailleurs nous avons des hommes et femmes remarquables, ici, ce sont des animaux qui décorent les billets de banque. Tout le monde a hâte de voir des poètes, héros nationaux et autres scientifiques géniaux prendre la place d'un garuda, d'un éléphant ou d'un chinthe.

    

Tout en haut d'un mur, des voltigeurs aux pieds nus, tentent de redonner un coup de jeunesse à la peinture de la façade de la Haute Cour. Les majestueux lions, perchés sur le faîte, imperturbables colosses de pierre, les pattes croisés sous leur gueule béante, dominent la ville et les hommes. 

En continuant vers le fleuve, je longe l'imposante façade d'une grosse banque, puis les célèbres arcades de l'ancien bâtiment de l'administration régionale de Yangon. 
Mais tout est en travaux et recouvert d'immenses bâches, on ne voit donc rien du tout. Il est question, là aussi, de reconvertir ce bâtiment en hôtel de luxe. 

L'Hôtel des douanes date de 1915, et est toujours en activité. Finalement ça prend essentiellement des banquiers et des douaniers pour faire rouler l'économie… 

Des bouquinistes exposent quelques livres très colorés sous des parasols, des cruches en terre cuite sont disséminées çà et là, remplies d'eau pour tout un chacun. 

Suivent la capitainerie avec ses grandes tours blanches, puis le fameux hôtel Strand arborant fièrement ses cinq étoiles. Ouvert en 1901, il est réputé pour avoir accueilli de célèbres écrivains, dont Kipling, Orwell, Wells, Huxley ou Maugham. Là, évidemment, il faut un peu de culture littéraire pour apprécier ce genre de visite.
Une nuit coûte un tout petit plus de 380 piasses, sinon on peut y aller pour un café. Mais là aussi il faut préparer les bidous, parce que l'expresso est vendu 6,25$… 
Je comprends pourquoi tout le monde me regarde de travers. Suant, le t-shirt collé à la peau, mon sac qui pue et mon appareil photo sur l'épaule, je ne dégage pas vraiment ce parfum particulier d'opulence auquel on s'attend dans ce genre d'endroit. 
C'est une bulle de grand luxe au milieu de l'effervescence. C'est beau, grandiose, et tellement éloigné de ma réalité. 
Finalement, ce café ne valait pas ce prix, je vais aller boire un jus de canne sur le bord de la route, oui monsieur, avec des glaçons d'eau du robinet, j'ai encore quelques kilos à perdre… 

Je continue ma marche le long de cette rue bruyante et poussiéreuse, en remarquant pour la première fois qu'il n'y a pas une seule moto, pas un seul scooter. 
Pour une ville d'Asie, c'est très surprenant de ne pas voir se faufiler des centaines de deux-roues entre voitures, camions et piétons. J'apprendrais que les militaires ont banni ce moyen de transport de la ville, craignant des attaques terroristes. 
Paranoïa quand tu nous guettes. 

Les bâtiments coloniaux se suivent. Ici, la grande poste, toujours en fonction témoigne, elle aussi, de l'incroyable âge d'or, que la capitale Rangoon a connu au cours des années 1920. 
Tombée dans l'oubli et la décrépitude, elle essaye de se relever et de retrouver ses ors d'antan. 

Dans une ruelle, un mini-marché expose ses quelques boutiques. Des bassines débordent de carcasses de poissons baignant dans une espèce de sauce grisâtre, des dames vendent des assiettes de grains de maïs pour les pigeons, des enfants attendent le client dans leur tout petit réduit plein de sacs de charbon de bois. 

Sur Strand Road, un homme armé d'une fourche, se démène dans un grand conteneur de déchets, la petite voie de chemin de fer qui fait le tour de la ville est recouverte d'immondices, des centaines de gens vivent dans ce salmigondis de pauvreté. 
J'ai l'impression d'avoir été téléporté à des années-lumières de l'hôtel d'où je viens de sortir.
  
  

Je traverse le large boulevard et me dirige vers la pagode Botahtaung. Un temple réputé pour son couloir en zigzag, doré du sol au plafond et pour, je vous le donne en mille, des cheveux de Bouddha. 

Je ne vais cependant pas le visiter, ayant probablement eu mon compte de temples et de dorures. Et puis, j'évite toujours de visiter tout ce qu'il y à voir, ça me donne une bonne raison pour revenir combler ces manques. 

Je continue vers le sud et arrive sur les berges de la rivière Yangon, où l'activité maritime bat son plein. La marée basse laisse apparaître les berges vaseuses sur lesquelles des échassiers piquent les crabes imprudents. 
Le Royal Irrawaddy fait le plein de victuailles pour sa croisière nocturne, les ferries attendent leur tour pour aller charger passagers et véhicules. Des pirogues longue-queue transbordent matériel et ballots jusqu'au ponton le plus proche. Des ouvriers se reposent sous une bâche, les protégeant timidement du soleil qui perce à travers la brume de chaleur. 

Un peu plus loin, ce sont les élégants yachts du Vintage Luxury Yacht Hotel qui tanguent au rythme des eaux écrasées sous la chaleur de ce début d'après-midi. 

Sur les quais, des enfants recouverts de crasse suivent leur grand-père, à la recherche de quelques déchets encore comestibles ou utilisables. Les plus pauvres des pauvres se retrouvent près des ports, avec le mince espoir de survivre à une autre journée. 
Pour eux, le sourire a depuis longtemps laissé la place à un douloureux masque de résignation. Cette vision d’extrême détresse est d'une tristesse sans nom et, ça me renvoie à l'absurde et intolérable prix, payé pour un seul café. 

Je quitte les rives pour remonter la rue Botahtaung. 
Partout, le long des hauts murs des immeubles, des cordelettes descendent des étages. Terminées d'une grosse pince, on y accroches les journaux ou des listes de courses. Des sacs en tissu sont suspendus pour y déposer l'épicerie, c'est ingénieux et ça me rappelle La Havane où j'avais vu le même système. 

Tout le long des routes, autour des poteaux où il est plus facile de grimper, les fils électriques de la ville sont vampirisés par des connections pirates. Je me demande si quelqu'un paye son électricité dans cette ville. Telles des lianes folles, des dizaines de fils de cuivre descendent vers les boutiques ou les appartements. 

De chaque balcon, fleurissent des paraboles bleues, oranges ou blanches, excroissances technologiques sur les murs lépreux. 

Enfin, l'air frais de la climatisation de la chambre m'enveloppe et me permet de retrouver quelques forces. Lesdites forces ayant momentanément quitté le corps d'André, nous n'irons pas très loin pour prendre notre dernier repas birman. Mais ne trouvant rien à notre goût, nous marcherons quand même jusqu'à la pagode Sule. 

Sur le chemin du retour, dans la faible clarté des rares lumières, quelques cuisines de rue se sont installées. Soit la chaleur de la journée me joue des tours, soit un habitant connaît mon prénom et le prononce parfaitement. Je délire… 
Mais non, c'est bien Pascale qui, assise avec Jacques, devant une soupe aux nouilles m'a reconnu. Quel incroyable hasard ! 
Quelques minutes de discussion, les derniers au revoir, et nous rentrons à notre chambre pour préparer nos sacs. Demain, le réveil se fera à l'aube, puisque l'avion décolle à 8 heures. Il faut arriver 3 heures avant et prévoir 1 heure de taxi pour se rendre à l'aéroport. 
Le jeune homme de l'accueil me dit qu'arriver 2 heures avant est largement suffisant et que la circulation devrait être fluide, il se charge aussi de réserver un taxi et négocie un prix tout à fait convenable.
Le réveil se fera donc à 4h45 au lieu de 4h15, chouette, une grasse matinée !

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