Mais commençons cette journée par le
commencement...
Il est tôt, impossible de se réveiller
naturellement aussi tôt lorsqu'il faut aller travailler. Les vacances génèrent
leur propre cycle de sommeil, et ça tombe bien il y a tant à faire en une
journée. Nous déjeunons sur notre terrasse de quelques pains à hot-dogs et de
fromage en tranche et je goûte avec une gourmandise feinte au jus du
wood-apple. Je comprends en lisant cet article pourquoi je n'ai pas
vraiment aimé ça.
Pas question de passer la journée en
gougounes, une bonne paire de chaussures sera nécessaire.
Nous ne tergiversons
pas ce matin et arrêtons le premier tuk-tuk indiqué meter sur le toit.
Nous lui demandons de nous emmener au MC pour Majestic City, un centre
commercial que tout le monde connaît dans le coin. Le fameux magasin Barefoot se trouve jute à quelques pas de cet endroit et il est indispensable
d'y faire un tour.
Depuis hier, toutes les personnes croisées
dans la rue nous font d'immenses sourires. Ils viennent vous chercher du regard
et dès qu'ils l'ont accroché, ils ferrent et dévoilent un sourire à faire
fondre la calotte glaciaire. Beaucoup vous interpellent d'un Hello, ou Good
Morning, et veulent tous savoir d'où vous venez. Bon certains sont un peu plus
insistants que d'autres, comme ce professeur qui voulait me faire signer une
pétition contre une somme modique ou ce pilote à la retraite qui voulait mon
courriel, mais il est facile de les éconduire gentiment en souriant et en
dodelinant de la tête. J'ai dû passer pour un doux cinglé.
Les portes de la boutique présagent de folles
dépenses, mais c'est encore fermé, il est 9h30. De l'autre côté de la rue Galle
se trouve un petit café qui nous semble fort à propos pour patienter trente
minutes. Mais il faut traverser...
Aujourd'hui n'est plus jour férié et on
dirait que tout le monde veut rattraper le temps perdu. J'ai traversé beaucoup
de rues dangereuses durant mes voyages, Montréal en faisant partie. Phnom Penh,
Dakar, Bangkok ou Le Caire sont dans nettement en avance dans le Top 10, mais
Colombo vient de ravir presque toutes les places. Ailleurs, le culot est
souvent payant et les gens finissent par vous laisser passer en respectant
votre audace. Surtout avec un geste décidé de la main et un regard autoritaire.
Ici non seulement il y a une circulation
démentielle, ça klaxonne sans arrêt mais surtout, le piéton est considéré comme
une denrée périssable. Les lignes jaunes peintes au sol ne doivent même pas
être mentionnées dans le code de la route s'il existe et aucun véhicule ne
tente de freiner si vous tentez de passer devant. Il va falloir ouvrir les yeux
et regarder à plusieurs fois avant de prendre le risque de traverser une rue.
Vision périphérique activée, nous pouvons continuer.
La promesse d'un
établissement cosy s'efface lorsque nous pénétrons dans la bâtisse, mais le thé
est bon. Tout le monde roule des yeux lorsque l'on demande une boisson sans
lait ni sucre, mais ils finissent par accéder à notre demande.
Enfin le Barefoot a ouvert ses portes sur
sa caverne d'Ali Baba. Ce sont des trésors de tissus, de sarongs, de saris
splendides, de bijoux et de mille autres merveilles qui risquent de donner un
coup de grâce à la carte de crédit. Mais ce n'est que le premier jour, une
simple observation...
Nous cherchons ensuite le Sri Lanka Tea
Board, réputée pour être une des meilleures
boutiques de thés de Colombo. Je me trompe un peu dans la lecture du plan, mais
c'est sans compter sur la gentillesse des habitants qui m'indiquent la bonne
direction et surtout qu'il faut prendre le bus pas cher et qui vous arrêtera
juste devant. Comme nous sommes décidés à marcher nous nous rendons compte que
même pour 100 mètres ils vous conseillent de prendre le bus. Marcher c'est
juste pour les pauvres.
Le soleil en profite pour nous darder de ses implacables
rayons. Moi qui pensait être bronzé je constate que je peux faire mieux, en
attendant je commencerais par un coup de soleil. Il fait vraiment très chaud et
l'air est chargé d'embruns poussés par le vent océanique. Un vent qui ne change
pas grand-chose à la température, c'est juste comme un séchoir géant.
Finalement la boutique est trouvée, il y a
un choix incroyable de thés, nous avons envie de repartir avec toute la
production du pays. Il y fait une fraîcheur bien à propos, mais ce continuel
changement de température va finir par me donner la mort.
En continuant vers le nord le long de
Galle road nous arrivons sur le front de mer. Les vagues viennent s'écraser sur
la petite plage et tout le long des panneaux indiquent que la baignade est dangereuse. De jeunes et moins jeunes
amoureux se cachent sous de grands parapluies. Ainsi abrités du soleil et de la
vue des passants ils peuvent se conter fleurette tout en contemplant l'océan.
Ils sont mignons, chaque banc est occupé, les mains se touchent et ils se
murmurent des mots doux à l'oreille. On est loin de la pudeur des Thaïlandais.
Le lac Beira déverse son trop plein
verdâtre aux pieds d'un échassier qui y pique du menu-fretin imprudent. Cette
couleur est tout sauf naturelle, mais l'effet visuel est très photogénique...
Le quartier du Fort est un mélange
d’architecture coloniale et moderne. Les deux tours du World Trade Center
domine le vieil hôpital hollandais complètement rénové et transformé en petite
zone touristique avec l'un des meilleurs restaurant de Colombo, le Ministry of
Crab.
Mais nous n'avons pas 140$ à mettre dans
un crabe de 2 kilos, alors nous nous contentons de visiter ce petit coin. Une
boutique propose des souvenirs tous plus kitchs les uns que les autres et fait
le bonheur des grand-mamans qui vont ramener de très horribles aimants à frigo,
des éléphants roses en plastique et des t-shirts à paillettes I♥SL.
Il est temps de passer à table. Nous nous
fions à notre guide et cherchons le AVP restaurant que nous ne
trouverons jamais et pour cause, la bâtisse censée l'abriter est recouverte de
plastique vert sous lequel des ouvriers manient marteaux piqueurs et brouettes.
Mais nous ne le savons pas encore alors
nous passons devant sans nous en rendre compte. Il faut dire que la ville est
tellement étendue qu'elle ne rentre sur des cartes qu'en réduisant au maximum
la police de caractère, et à moins d'avoir un microscope électronique, ou une
bonne loupe, il est complètement impossible d'y lire le moindre nom de rue.
Sur les indications de passants affables,
nous trouvons le bazar. Je ne sais pas qui tient de qui, mais ce mot est fort à
propos concernant celui du quartier Pettah. Non loin de la gare, les rues sont
bondées de choses tellement variées qu'il est impossible d'en faire
l'inventaire. Des vieillards décharnés tirent des charrettes qu’aucune mule
n'aimerait avoir sur le dos, d'autres portent sur la tête d'immenses paniers
remplis de régimes de bananes. Des tuk-tuk zigzaguent en klaxonnant et le
soleil continue inéluctablement à faire son œuvre de destruction pigmentaire.
Le hasard nous fait entrer dans une partie
du marché qui est sans aucune doute dédiée aux bananes. Il y en a des tonnes,
des vertes, des jaunes, des rouges, petites, moyennes ou grosses, accrochées à
leur immense tige en point d'interrogation et stockées dans des hangars
poussiéreux. Les touristes ne doivent pas venir nombreux ici, car nous attirons
les regards amusés des marchands qui dodelinent de la tête lorsque je demande si
je peux faire une photo. Ici comme en Inde, dodeliner veut dire oui, il faut
s'y habituer. J'ai de temps en temps encore le réflexe de soulever les arcades
sourcilières pour acquiescer comme on fait à Tahiti... Drôle d'échange, si tu
dodelines, je sourcille...
Tenaillés par la faim, nous cherchons
toujours désespérément un endroit pour manger. Contrairement à la Thaïlande où
il est impossible de faire 15 mètres en ville sans trouve une roulotte, une
gargote, un marchand ambulant, un 7Eleven ou un restaurant en bonne et due
forme, ici c'est un peu plus compliqué.
Mais la gare de Colombo Fort éveille notre
curiosité, il faut un billet pour y pénétrer, mais je promet au gardien de
revenir très vite, je veux juste y faire quelques photos. Ouverte en 1917 cette
gare offre une structure métallique de toute beauté et un rapide voyage dans le
passé. Je m’attends presque à avoir débarquer des dames en crinoline et des
messieurs en chapeaux, mais ce sont des sacs à dos et des voyageurs locaux qui
se pressent sur les quais.
Nous ressortons et comme d'après le plan
nous ne sommes pas loin du AVP, nous décidons finalement d'y manger. Et
constatons que les immenses bâches recouvrent cette bâtisse complètement vide.
Las, à côté du YMCA un restaurant indien semble bien vouloir nous dépanner.
C'est rempli et on peut difficilement faire plus local. Nous sommes pris en
charge par un serveur qui nous explique le fonctionnement. Nous commandons deux
plats du buffet et en quelques minutes il nous les apporte à table. Nous sommes
les seuls à avoir des couverts, tout le monde mange avec sa main droite. Au
fond de la salle un immense évier et du savon assure l'hygiène, on nous regarde
avec amusement et les gens doivent se demander si on va franchir le pas. André
se pourlèche les babines et prend un malin plaisir à enfouir les doigts dans le
mélange de riz et de légumes, le tout arrosé d'une sauce atomique au piment que
même le Diable ne mangerait pas. Il ronge du bout des dents le morceau
rachitique de poulet frit et après avoir vu l'état de conservation de la viande
dans un comptoir de boucher, se promet
de devenir végétarien pour les trois prochaines semaines.
La question qui se pose maintenant est de
savoir si tout cela va être digéré normalement...
Cette fois nous ne ferons pas l'erreur d’errer
sans fin dans les rues et arrêtons le premier tuk-tuk dès la sortie du
restaurant. Nous lui demandons de nous emmener au temple de Gangaramaya, un
temple bouddhiste qui abrite des collections insensées d'offrandes de pieux
pèlerins. L'entrée coûte 200Rp qui à la demande du moine-caissier sont
immédiatement jetés dans une énorme urne en guise d'offrande. S'ensuit une
visite libre dans un dédale de pièces et de passages. Un éléphant ado est
vautré de tout son long dans une piscine à peine assez grande pour lui, la
patte attachée à trop courte chaîne. Triste spectacle.
Les salles renferment des trésors et nous
sommes subjugués par la diversité et la richesse des collections. La poussière
recouvre tout, seul le doux visage des statues en bronze de Bouddha brille de
mille feux. Ils sont dévotement astiqués et contrastent avec les merveilles
ternies qui les entourent. Ces dizaines de statues ornent le site et
surveillent les trésors qui dorment à l'ombre des vieilles poutres.
Plusieurs défenses d'éléphant sont
abandonnées à même le sol, chacune devant valoir son pesant d'or. Les étagères
débordent de montres à gousset, de peignes en écaille, de colliers en corail
rouge, de lunettes cerclées de fer, de pièces de monnaie et de billets de tous
les continents, de masques anciens et de sculptures en bois, un énorme éléphant
en stuc plus vrai que nature, des cloches en bronze, des statuettes en ivoire,
des téléphones, des couteaux de toutes formes, des épées et des sabres à
manches en argent incrustés de pierres précieuses, des charrettes, des voitures
antédiluviennes et des Mercedes flambant neuves oubliées dans le fond d'une
remise, des affiches éducatives prônant l'abstinence, la tempérance et la
fidélité, encore des ivoires sculptés, des bijoux et des Bouddha en jade, des
colliers en argent, des dentiers, des tasses en porcelaine fine, et encore de
l'ivoire, brut, tranchés, sculptés, en filigrane...
J'ai l'impression que ce
temple est à lui seul responsable de la disparition d'un bon tas de pachydermes
en Asie !
Nous ressortons tout étourdis par cette
visite en nous disant que cet endroit ferait le bonheur de nombre de
collectionneurs. Laissez-moi seul une petite demi-heure, je vais vous en faire
du rangement et par la même occasion remplir mon sac de merveilleux souvenirs.
D'un coup de tuk-tuk nous nous rendons
dans Cinnamon Gardens, qui contrairement à ce que son nom suggère ne possède
plus de canneliers mais est devenu un quartier très chic. Odel Unlimited
est le rendez-vous de la classe aisée de la capitale où le moindre café
équivaut à un mois de salaire d'une cueilleuse de thé. C'est un regroupement de
plusieurs boutiques chics sous un même toit, de cafés et petits restos moyens
mais chers. Par contre pour trouver des vêtements en lin à bon prix et quelques
souvenirs c'est un bon plan.
Juste à côté se trouve l'Hôtel de Ville
qui ressemble à s'y méprendre à la Maison Blanche. En face s'ouvre
Viharamahadevi Park, le plus grand parc de Colombo, qui offre une promenade à
l'ombre rafraîchissante de majestueux arbres envahis des charmants chants de
centaines de corbeaux. Quel animal déprimant.
Il est temps que cette journée se termine.
Épuisés, les jambes en coton-tige, les épaules cuites à point, le nez
rougeoyant comme une braise ardente, les oreilles cillant des incessants et
assourdissants coups de klaxon, les poumons intoxiqués par les méga-particules
et la peau recouverte d’une épaisse couche gluante de sueur et poussière nous
hélons un taxi. Nous tombons sur Gino, le latin lover de Colombo,
qui en chantant, sifflant et faisant moult politesses aux passantes
tourbillonne entre les pare-chocs et les pots d'échappement. Si vous le
rencontrez faites lui un gros tata de notre part !
C'est enfin la délivrance avec douche
fraîche, et un repos plus que mérité sur la terrasse sur le toit, en compagnie
d'une grosse Lion bien froide et d'un Cohiba qui me suit depuis la
Havane. Toute une journée sans voir une seule fois le célèbre inspecteur...
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