La Palma - Partie 2/2 - 18 & 19 février


Mardi 18 février
Le volcan, la mer et la manœuvre impossible

Houla, quelle journée éprouvante ! 

Elle commence pourtant bien, sous le soleil et le ciel bleu, avec la visite de la fabrique de cigares El Rubio à deux pas de chez nous. Comme souvent ici, c’est une toute petite entreprise familiale qui fabrique et vend sa production de puros.

Deux personnes, concentrées, sont assises à une table et roulent les cigares, en différentes tailles. Du discret Fina à l’imposant Superior, tous sont roulés à la main, avec application, et vendus aux alentours de 3 euros pièce. 
D'autres collent les bagues sur les cigares une fois sortis des presses en bois antédiluviennes, puis une dernière emballe les cigares dans des paquets, prêts pour l'expédition.

Il est un peu tôt pour commencer à boucaner, on va s’épargner l’apéro-nicotine et garder ça pour plus tard. 
Évidemment, l'abus d'alcool, le tabac, le sexe non protégé, la conduite automobile, les concours de bouffe, faire la gueule, voter Con, manger trop vite, ne pas se laver les mains, l'obésité, le manque d'activité physique, le stress chronique, la pollution, le sucre raffiné, les aliments ultra-transformés, l'excès de sel, etc. sont mauvais pour la santé... Mais vous êtes des adultes, débrouillez vous !

 

Puisque les cimes sont parfaitement dégagées, nous mettons le cap vers la Caldeira de Taburiente, un vestige de gigantesque stratovolcan en plein milieu de l’île. 
Il est sis dans un parc et, comme pour le Teide ou le Roque Nublo, il faut s’inscrire en ligne pour espérer passer la barrière. 

Les places sont limitées : ici, on ne plaisante pas avec la suraffluence touristique ni la protection des sites fragiles. Évidemment, nous avons omis de réserver… organisés, mais pas trop. 

Par chance, il restait une place avant 11 h, et comme nous sommes matinaux, souriants, et manifestement sympathiques, la gentille gardienne remplit elle-même notre formulaire en ligne et nous donne une heure pour grimper au mirador. 

Je commence à être habitué aux routes locales et je clenche mes vitesses comme en finale du rallye de Monte-Carlo. Je suis en confiance : la route est en excellent état et, à cette heure, il y a peu de chances de croiser des voitures en sens inverse. Mais je suis quand même prudent, promis. 

Nous atteignons le tout petit stationnement et partons aussitôt en direction du mirador de Los Roques qui se trouve à peine à 530 mètres à travers une forêt de pins des Canaries, espèce endémique qui a la particularité de résister au feu grâce à son écorce très épaisse. 

Le chemin est bien entretenu, la lumière filtre joliment à travers les longues aiguilles chatoyantes et les troncs sombres. On respire à pleins poumons, ça sent bon la résine et la fraîcheur. Dommage que le temps nous soit compté : le site est un paradis pour la rando. 
Quelques sentiers parcourent l'immense caldeira, un cadre idyllique qui donne envie de flâner toute la journée. 

Nous nous trouvons au-dessus d’un cratère gigantesque, 8 kilomètres de diamètre, au centre duquel le Roque de los Muchachos culmine à 2 318 mètres. La vue est complètement folle. En face, un petit nuage irisé, les cimes qui émergent des brumes, le silence quasi absolu, seulement troublé par les trilles d’oiseaux et le bruissement du vent dans les pins. C’est la paix, la vraie. 

Mais l’heure tourne, et pour ne pas fâcher notre bienveillante gardienne ni le monsieur du cagibi du parking, nous devons déjà rebrousser chemin et rejoindre le stationnement où la voiture nous attend. Sur le sentier, nous sommes surpris par plusieurs personnes qui ne sont pas du tout équipées pour randonner. 
Ben tiens, elles sont montées en taxi pour faire quelques photos, s’égo-portraitiser avec leurs t-shirts Cruises Addict

On redescend à travers la sylve, en croisant une ribambelle de jeunes fraîchement déconnectés de leurs écrans, venus respirer un peu. Ça fait plaisir, une jeunesse qui s’oxygène. 

Passage rapide au centre d’information du parc. 
Une grande maquette de l’île, quelques panneaux explicatifs : on nous résume la topographie, la formation des volcans, la géologie du coin. Le petit jardin botanique attenant mérite aussi le détour. 

Non loin de là, l’Ermitage de la Virgen del Pino se niche dans un cadre bucolique, parfait exemple de réhabilitation réussie. Alors que la chapelle et surtout son pin géant partaient à vau-l’eau, des humains un peu plus malins que les autres ont pris les choses en main. 

Disparu le parking gigantesque et les voitures en pagaille, interdits les piétinements et les attouchements du grand pin protecteur de la Vierge. 
À la place : des plantes, des prairies, et un site tout mimi à l’orée d’une immense pinède. Il n’en fallait guère plus pour redonner du cachet – et de l’espoir – à ce petit coin de forêt. 

En quête de la bretzel sacrée mais à court de caféine, on décide de faire escale dans le prochain bourg pour une bonne tasse d’expresso. 
Nous y sommes passés plusieurs fois en voiture aux abords de Los Llanos de Aridane , mais sans jamais s’y arrêter. Grosse erreur. 

Le centre historique a un charme fou, malgré les conversations germaniques à chaque coin de rue. Façades colorées, balcons en bois ouvragé, propreté irréprochable, ambiance tranquille. Et comme en Andalousie où nous étions l'an dernier, on retrouve la petite bouteille ou le pulvérisateur d’eau savonneuse que les propriétaires de chiens trimballent pour push-pusher le pipi de leur toutou. Car même si l’amende pour dépose intempestive de caca est affichée à 1 500 euros, le civisme des habitants repose sur leur sens du respect des autres. 

Bon, ça n’empêche pas les chiens libres de tout maître de faire leur vie – et leur crotte – où bon leur semble, sans compter les centaines de chats errants qui font ce que font les chats : ce qu’ils veulent.

L’heure du dîner approche. 
Cap vers la côte et le port de Tazacorte, réputé pour être la ville la plus ensoleillée d’Espagne – bien qu’hier, il y faisait un temps de Toussaint. 
En fait Tazacorte n'arrive même pas dans le Top 10 des villes espagnoles les plus bombardées de flux de photons mais qui, à part Monsieur FBI, va aller s'en enquérir ? Mytho !

Un virage en crête nous dévoile un littoral battu par une mer franchement en colère. D’ici, on voit parfaitement le moutonnement au large, les embruns qui s’élèvent haut dans les terres. 

Nous voilà à Tazacorte PuertoParking trouvé, front de mer en vue. 

Tout le long de la promenade, on sent les souffles salés de l’Atlantique qui viennent tout recouvrir d’une fine pellicule. La houle se fracasse sur la digue, des geysers blancs jaillissent en hauteur. De temps en temps, une maîtresse vague venue des entrailles océaniques submerge totalement la digue et réussit à vaincre la longue plage pour finir de passer le petit mur du trottoir et déposer une nouvelle couche de grains de sable noir sur la route.

Les touristes sont médusés. Le spectacle est hypnotique. Mais nos estomacs commencent à gronder sérieusement. 

Malheureusement, on se heurte à un phénomène local : l
es restaurants ont d’immenses terrasses avec beaucoup de tables, mais il n’y a qu’un serveur, souvent peu expérimenté, qui doit tenter de satisfaire tout le monde. De terrasse en terrasse, nous sommes oubliés par les pauvres serveurs en burn-out logistique, complètement dépassés par les événements et les bras impatients qui réclament du service.

Finalement, on trouve refuge dans la salle abritée de la Taberna del Puerto où nous sommes accueillis
 avec un sourire, un service efficace, et surtout, même si le spectacle de la nature en folie est sublime, nous sommes abrités des éléments salés.
Et bien sûr nous trouvons de quoi apaiser nos estomacs en crise. 

Retour sur la promenade, floutée par les nuages d’embruns. Nos peaux se crispent sous l’effet du sel, nos téléphones et appareil photos (et tout en fait) vont devoir être désalinisés, mais assister à ce déchaînement marin, derrière les cordons de sécurité et sous l’œil bienveillant de la police, vaut largement quelques désagréments. 

Il est 15 h, et nous reprenons la route. Direction le mirador El Time, perché plus haut dans la montagne. Vue panoramique à couper le souffle : ici Los Llanos, là-bas Tazacorte, tout au fond, le phare de Fuencaliente. 

Entre les deux, des champs de bananiers, avocatiers et canne à sucre, protégés des caprices du vent par d’immenses toiles blanches. On distingue parfaitement la coulée de lave noire de 2021, une cicatrice béante depuis les hauteurs de la Cumbre Vieja jusqu’à l’océan. 

Prochaine étape : Cueva Bonitaune grotte repérée en ligne. La route qui y mène est un fouillis de virages bien abrupts. Mais pas de bol : on ne peut y accéder que par bateau. 
Et aujourd’hui, pas un seul esquif à l’horizon, l’océan est trop déchaîné. Demi-tour obligatoire. Le mirador permet heureusement la manœuvre. 

Ce qu'on a failli voir...
Photo : Internet
La suite semble plus simple : Poris de la Candelariapetit hameau de pêcheurs niché au cœur d'une immense grotte naturelle d'environ 50 mètres de haut, formée par l'érosion volcanique. Les maisons blanches, construites il y a plus d'un siècle, sont adossées aux parois rocheuses, et surtout accessible en voiture. Alors nous replongeons en direction des flots et commençons à enchaîner les virages sur une route en bon état, mais terriblement étroite.

La route est une piste étriquée, sinueuse, sans aucune aire de croisement. On joue au millimètre. Rétros rentrés, coudes serrés. Mais il faut un peu de bonne volonté de la part de tout le monde, ce qui, bien sûr, n’est pas le cas. 

Je suis forcé de me coller à la barrière de sécurité en entendant parfaitement un grincement métallique m’indiquant que je ne peux aller plus loin si ce n'est me jeter dans le vide. Je fais comprendre à mon voisin que je ne peux rien faire de plus, alors il finit par se tasser un peu et passe, moi j’entame une marche arrière pour me dégager dans un nouveau couinement de tôle. Cette expérience est totalement déprimante. 

Je continue ma route sur quelques mètres, rencontre d’autres voitures qui ne font pas grand effort, puis, à bout de patience, décide d’entamer une marche arrière jusqu’au petit espace dans un virage où je pense pouvoir faire demi-tour.

Marche arrière sur une côte raide, d’autres voitures sont arrivées derrière moi, je lève le bras pour leur signifier de reculer. 

Et là : embrayage en surchauffe, pédale bloquée, plus moyen de passer une vitesse. Devant, un vieux singe klaxonne. André menace de lui balancer un caillou de lave à travers le pare-brise. 

Derrière, une vieille taupe descend voir ce qui se passe. 
- Ça va monsieur, qu'est ce qu'il se passe ?
- Gniiiiii

Ce que je fais de mieux en ce moment, c’est sacrer comme un démon, tout en éteignant et rallumant l’ostie d'char, et en tentant de débloquer la pédale en la tirant vers le haut avec le bout de mon pied.

J’éteins, je rallume la voiture, je tente de débloquer la pédale avec la pointe du pied.
Enfin, après quelques siècles, je réussis à remettre la voiture dans le sens de la montée et à quitter cet enfer bitumé, laissant les rageux à leur place.

Si tu veux visiter Porís de la Candelaria, descends à pied, à vélo, à dos d'âne ou à moto. Mais surtout, pas en voiture. 

Au sommet de la route, un petit kiosque. Un jus d’orange fraichement pressé, une grosse bouffée d’oxygène. Si je bois un verre d’alcool maintenant, je passe la nuit ici. 
Ah, mais qui vois-je ? Mon impatient du virage. ¡Come mierda!, mon tabarnak ! 
Étonnement et sourire de monsieur kiosque de jus de fruits qui trouve que mon espagnol s'améliore de jour en jour.

Retour tranquille ensuite, par les routes désormais familières, et le fameux tunnel qui... nous fait gagner un temps fou

Je suis lessivé. 
Le côté droit de la 208 a de nouvelles cicatrices, la calandre tient toujours par l’opération du Saint-Esprit, mais on a vu des paysages incroyables, une jolie ville pleine de charme, mangé comme des rois face à une mer déchaînée. 

Demain, promis, on se fait une journée tranquille.

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Mercredi 19 février
Du sanctuaire aux étoiles : notre ultime virée palmera

Dernière petite journée tranquille, on avait dit…

Alors on la commence avec une petite rando d’une heure sur un terrain relativement plat. Le hasard, ce sacré coquin, nous fait passer par le Real Santuario de Nuestra Señora de las Nieves — un nom à rallonge, mais avec une petite place ombragée aux galets magnifiquement alignés, un café semble nous ensorceler comme les sirènes avec Ulysse. Mais comme nous ne sommes pas attachés à notre voiture, nous cédons rapidement à l’appel de ce petit coin romantique à souhait.

Jusqu’à l’arrivée d’un gros autobus de touristes germaniques qui envahissent les lieux avec leurs grosses sandales à crampons. Laissez-les passer, ils ne visitent pas, ils conquièrent !

L’église de Notre-Dame-des-Neiges est très sobre à l’extérieur, mais rutilante de dorures dès qu’on en franchit le seuil. Le plafond est une œuvre d’art à lui seul, et de nombreuses offrandes votives décorent les murs. C’est un site emblématique de La Palma, riche en histoire, en art et en spiritualité, qui reflète la profonde dévotion des habitants envers leur patronne.

  • L'anecdote historico-spirituelle
La Vierge de las Nieves (Nuestra Señora de las Nieves) est la sainte patronne de l’île de La Palma, profondément vénérée depuis des siècles. Sa statue en terre cuite polychrome, datant probablement du XIVe siècle, serait d’origine catalane ou flamande et figure parmi les plus anciennes des Canaries.
Installée dans le Real Santuario qui lui est dédié, elle incarne un lien fort entre foi, identité locale et traditions populaires. Tous les cinq ans, elle est portée en procession jusqu’à Santa Cruz de La Palma lors de la spectaculaire Bajada de la Virgen, une fête religieuse et populaire unique, marquée notamment par la fameuse Danse des Nains. Plus qu’une figure spirituelle, elle est un symbole culturel et affectif pour les habitants de l’île.
L'église abrite une précieuse collection d'ex-voto marins picturaux, témoignant de la profonde dévotion des habitants de l'île envers la Vierge des Neiges. Ces offrandes, principalement des peintures à l'huile sur toile mesurant environ 70 x 50 cm, datent du XVIIe au XIXe siècle. Elles illustrent des scènes maritimes dramatiques, telles que des tempêtes en mer, où les marins, confrontés au danger, invoquent la protection de la Vierge. Par exemple, un ex-voto de 1723 décrit une violente tempête survenue lors d'un voyage de la Martinique à Cadix, où l'équipage, après avoir prié Notre-Dame des Neiges, fut sauvé du naufrage. 

Il est temps de poursuivre notre route et d’aller honorer ce sentier dont je parle depuis plusieurs jours.
Maiiiiiis… une pancarte, une intuition, une bulle au cerveau — et au lieu d’aller tout droit, je bifurque à gauche et grimpe dans la montagne.

Le trajet affiché sur Google Maps ressemble trop à un intestin grêle. Mais ça nous donnerait une drôle de tête si c’était vraiment le cas.
Rapidement, nos tympans subissent la différence de pression. L’altitude est vite gagnée, les paysages côtiers aux forêts denses laissent place aux pins cramponnés sur les pentes raides. 

La route est magnifique, les panoramas s’enchaînent, tous plus beaux les uns que les autres. Nous passons au-dessus de la mer de nuages qui s’étend au large et distinguons parfaitement le sommet impressionnant du Teide, situé à plus de 130 kilomètres de là, tout à l’est.

La température chute, le soleil est de plus en plus proche, quelques névés se cachent dans des crevasses, bien abrités des rayons qui finiront bien par les faire disparaître.

Ça y est, les énormes télescopes sont en vue. Ils font partie de l’Observatoire d’astrophysique du Roque de los Muchachos, un site de recherche scientifique de renommée mondiale. Le GranTeCan (Gran Telescopio Canarias) est le plus grand télescope optique du monde, rien que ça. Nous ne sommes plus très loin du but : l’air est plus léger, la vue porte loin.

  • L'anecdote spatiale
L’Observatoire d’astrophysique du Roque de los Muchachos (ORM), situé à 2 426 mètres d’altitude au sommet de La Palma, est l’un des sites astronomiques les plus prestigieux au monde. Inauguré en 1985, il abrite le Gran Telescopio Canarias (GTC), le plus grand télescope optique et infrarouge à miroir unique au monde, avec un diamètre de 10,4 mètres. Le site accueille également une vingtaine d’autres instruments, tels que le William Herschel Telescope, le Nordic Optical Telescope et les télescopes MAGIC, spécialisés dans l’astrophysique des hautes énergies .​

Grâce à son ciel exceptionnellement pur et stable, l’ORM est considéré comme l’un des meilleurs endroits de l’hémisphère nord pour l’observation astronomique, juste après Mauna Kea à Hawaï. Ces conditions idéales ont permis des avancées majeures, comme la détection de galaxies lointaines et l’étude des trous noirs. Le site est également impliqué dans des projets internationaux, notamment le futur réseau de télescopes Cherenkov pour l’étude des rayons gamma .​

Pour les visiteurs, un centre d’interprétation (15 euros) situé à proximité offre des expositions interactives sur l’astrophysique et l’histoire de l’observatoire. Des visites guidées sont proposées en journée, permettant de découvrir les installations et d’en apprendre davantage sur les recherches menées sur place .​

Pour se plonger la tête dans les étoiles sur cette île magique, je vous conseille de visionner ce film absolument superbe et incroyablement reposant : ICI

Depuis un moment, les pins ont laissé place aux landes de pierres et à quelques arbrisseaux résistants aux conditions extrêmes. Un dernier virage face aux miroirs des immenses constructions internationales, et nous voilà arrivés au sommet de l’île : le
Roque de los Muchachos.

Bon, ça sonne comme le nom d’un resto mexicain un peu kétaine, mais plantés à 2 426 mètres au-dessus de la mer, on prend le temps de respirer, et surtout d’admirer la vue incroyable qui s’étend sous nos pieds.

Le tout petit parking est plein, et c’est un peu le bordel pour manœuvrer. Refroidi par mes derniers exploits, j’avance à tâtons, ce qui semble attendrir le gardien du site. Il enlève les cônes orange devant sa cahute pour que je puisse garer notre belle voiture jaune moutarde hot-dog rayée.

Un autobus a déjà déchargé sa marchandise saxonne — calvaire, il reste-tu du monde en Germanie ? — mais chaussés comme de vrais randonneurs aguerris, et surtout avec 20 à 30 ans de moins en moyenne, nous doublons rapidement tout ce beau monde en direction des divers points de vue sur la Caldeira de Taburiente.

Vue sur le Mirador de la Cumbrecita
Tout au bout du bout du chemin, passé le Mirador del Espigón del Roque, perchés comme des vautours dans leur nid, nous avons une vue imprenable sur l’immense cirque volcanique, et pouvons même distinguer — à 6 613 mètres de là — le miroitement des voitures stationnées au Mirador de la Cumbrecita, où nous étions hier.

Autour du Roque de los Muchachos, le paysage est brut, presque irréel. Le sol est un patchwork de roches éclatées, de scories et de laves figées, où dominent les teintes rouges sombres, brunes et noires. Les rouges, profonds ou oxydés, trahissent l’action du temps sur les minéraux ferreux ; les noires, plus massives et luisantes par endroits, semblent encore porter la mémoire brûlante des coulées de basalte.

Des blocs anguleux émergent de partout, jetés là comme par une main titanesque. Certains affleurent en dômes usés, d’autres forment des crêtes acérées, tranchantes sous la lumière crue. La végétation reste rare à ces altitudes extrêmes : quelques bruyères naines et genêts, plaqués contre le sol, s’accrochent aux failles du roc.

Mais en contrebas, la caldeira de Taburiente offre un tout autre visage. Ses pentes escarpées sont recouvertes d'une forêt dense de pins des Canaries, hauts et élancés, qui s'accrochent vaillamment aux moindres replis. Entre les massifs de roches fracturées, de nombreux torrents serpentent, dévalant les ravines en cascades vives, nourrissant des oasis de fraîcheur au cœur de cet amphithéâtre colossal.

Ici, la terre oscille entre la rudesse volcanique et une luxuriance inattendue, comme si la vie avait trouvé un pacte fragile avec le feu ancien.

Ici, à plus de 2 400 mètres d'altitude, le sommet est inondé de lumière, loin au-dessus des nuages. Le ciel est d’un bleu pur, presque irréel, et l’air, vif et transparent, donne au monde alentour une netteté saisissante.

Mais sur les crêtes éloignées, de l’autre côté de l’immense caldeira, le spectacle est tout autre. Là-bas, les nuages jouent à saute-mouton, portés par les vents venus de l’Atlantique. Ils rampent le long des pentes, escaladent les parois escarpées, s’amoncellent aux sommets avant de basculer paresseusement dans le vide. Les crêtes apparaissent et disparaissent dans une danse lente, un va-et-vient hypnotique de brume blanche et de roches noires.

De longues minutes de contemplation, et déjà il faut penser à repartir. 



Nous en profitons pour admirer les chefs-d’œuvre d’ingénierie posés sur les pentes de l’un des ciels les plus purs de la planète. Là, dans ce désert d'herbes rudes, de roches et de vent, s’alignent des télescopes aux allures de vaisseaux spatiaux échoués. 

Leurs coupoles blanches, semblables à des œufs d'acier, abritent des miroirs gigantesques, polis à la perfection, capables de capter la lumière d’étoiles mortes depuis des milliards d’années.

À quelques pas, le Gran Telescopio Canarias, avec son miroir segmenté de plus de dix mètres de diamètre, semble prêt à trouer le ciel. Plus loin, des instruments futuristes hérissent la crête, recouverts de panneaux, de capteurs, d'antennes, comme autant de promesses de voyages immobiles.

Certains télescopes ressemblent à d'immenses attrape-rêves métalliques. Leur ossature de tubes fins soutient des miroirs mobiles qui pivotent lentement, scrutant l'invisible. À les regarder ainsi, on croirait presque assister à un rituel silencieux, une chorégraphie dédiée aux étoiles, où la haute technologie flirte avec la magie ancestrale de l'observation du ciel.

Chaque photon est précieux, chaque étincelle cosmique est saisie, analysée, décryptée. Ici, la science n'a rien d'austère : elle a quelque chose d'infiniment poétique, comme une conversation chuchotée entre les humains et l'univers.

Puis, le regard encore suspendu entre ciel et terre, nous entamons la longue descente vers la sylve sombre.

Sur la route du retour, alors que la piste redescend en lacets serrés vers la forêt, l’œil d'André est soudain accroché par une tache blanche improbable, lovée dans un creux de rocaille. Un petit névé, rescapé miraculeux de la fonte, résiste encore sous le soleil canarien. Et pourtant, André déteste la neige, mais là, impossible de résister. En deux enjambées, il traverse le talus pour aller toucher cette relique hivernale.
On peut bien sortir un Québécois de son pays, mais pas le Québec de son cœur.

Mille mètres plus bas, nous entrons dans les nuages. La bruine posée sur l’asphalte réclame un peu plus d’attention — comme si j’en avais encore en réserve.
André me signale les voitures qui arrivent, mais nous sommes bien loin de la torture des petites routes perdues d’hier.

Je pense que ce coin-là est habitué à l’humidité, puisque même la route est parfois joliment décorée de petites mousses vertes. Des bûcherons font valser leurs tronçonneuses et leurs débroussailleuses. Les gros coups de vent des derniers jours ont fait quelques dégâts, mais ici, la voirie et l’entretien des routes ne sont pas une légende. Tout est nickel. Depuis notre arrivée, nous voyons une pléthore d’agents s’employer à rendre les routes sûres et les bas-côtés aussi propres et bien rangés qu’une forêt autrichienne.

À flanc de montagne, là où les routes en lacets défient le vide, d’immenses filets métalliques tendus sur les parois protègent la chaussée. Ces mailles d’acier, fixées à la roche à grands renforts d'ancrages, retiennent les éboulis que la pluie, le vent ou la simple gravité arrachent sans relâche aux falaises friables. C’est un combat silencieux contre la montagne, qui ne cesse jamais de vouloir reprendre son espace.

Les nuages sont restés accrochés plus haut, et ici, à Barlovento, le soleil a repris le dessus. Un petit bar, deux bocadillos au comptoir, et nous partons en direction des piscines naturelles de La Fajana.

Si le vent est calme, il n’en est pas de même pour l’océan, qui donne de la voix. Les longues vagues viennent cogner l’île comme si Neptune avait soudainement décidé de la déplacer. Mais bien accrochée à ses fondations volcaniques, La Palma ne bouge pas.
L’écume s’écrase sur les rochers, l’air est saturé de sel, les embruns volent sur la côte, sur les plantations de bananiers, sur tout ce qui se trouve sur leur passage.

Les piscines naturelles, bien aménagées, sont une invitation à la baignade. Malgré la couleur céruléenne des bassins, l’eau reste fraîche, et la température extérieure n’est pas suffisamment convaincante pour y plonger nos corps. De toute façon, on est très bien sur le chemin panoramique, à attendre la prochaine vague, qu’on espère encore plus grosse que la précédente.

Aux abords du site, une sculpture attire mon attention, Une paire de palmes, un tuba et un masque de plongée sont disposés sur un banc face à l'océan.

  • L'anecdote tragique & poétique
Le Mirador Literario Sanmao y José María est un lieu chargé d’émotion et de poésie. Il rend hommage à la célèbre écrivaine taïwanaise Sanmao (Chen Ping) et à son époux José María Quero, plongeur espagnol décédé tragiquement en mer en 1979, non loin de ce lieu. Profondément marquée par cette perte, Sanmao l’a évoquée dans plusieurs de ses écrits, conférant à La Palma une place unique dans son œuvre.
Photo : Internet

Inauguré en 2014, le mirador, conçu par l’artiste Juan Alberto Fernández, se distingue par une installation minimaliste : trois tubes symbolisent le pseudonyme « Sanmao » (signifiant « Trois Cheveux » en chinois), et huit galets colorés rappellent sa passion pour la collecte de pierres – le chiffre huit étant porte-bonheur dans la culture chinoise. Des objets en bronze (palmes, masque et tuba) évoquent la mémoire de José María, tandis que des extraits d’écrits de Sanmao, gravés au sol en plusieurs langues, invitent à la lecture et à la méditation. Ce lieu singulier, empreint de littérature et de mélancolie, attire de nombreux visiteurs, notamment des lecteurs asiatiques venus sur les traces de l’auteure, dans ce coin de l’île où amour, douleur et beauté naturelle s’entrelacent.



Il nous reste à peine 40 minutes de route avant d’atteindre Santa Cruz, où nous ferons une dernière halte avant de rentrer et de boucler nos sacs.
Demain, à 14h30, notre avion s’arrachera du tarmac pour nous ramener sur le continent.

Trente et un jours sont passés comme un pet sur une toile cirée. Heureusement, les photos, les souvenirs sont là pour nous confirmer ce voyage que l’on pense si court. En faisant un petit bilan provisoire, on se rend bien compte du chemin parcouru, et de toutes les choses incroyables que nous avons vécues.

Impossible de choisir l’une ou l’autre des îles. Chacune a son identité propre, et nous les avons toutes aimées.

En attendant, les sacs sont faits. Nous avons mangé le touski le plus original de l’histoire des touskis : riz, quinoa, sardines, œufs durs, sauce soja, cornichons… 

Oui, tout dans la même assiette. Fallait bien vider le garde-manger.


ATTENDS ! Ce n'est pas tout à fait terminé, il y a une suite...
                                 


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