Andalousie 2024 - Grenade - 3/4

Samedi 16 mars - Grenade - Monastère San Jeronimo, basilique San Juan de Dios, dorures et flamenco

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Nous entamons la journée par un expresso solo devant les grandes portes de la cathédrale.

À cette heure matinale, la ville est encore calme, assoupie, en attente de l’effervescence d’un samedi de printemps et des préparations de la Semaine sainte. 

Il nous suffit de 8 minutes de marche pour arriver aux portes du monastère San Jeronimo

Fondé en 1505 sur un terrain offert par les Rois Catholiques aux moines hiéronymites, le monastère ouvre ses portes à la première communauté en 1521. 

Lors de l’invasion des troupes napoléoniennes (1810-1812), la tour est démolie par les Français qui utilisent les pierres pour construire le pont vert - El Puente Verde – franchissant la rivière Genil. La haute tour sera reconstruite à partir de 1963. 

Les moines occupent la vaste bâtisse jusqu’en 1835 lorsque Juan Álvarez Mendizábal décide de virer tout le monde pour y installer des soldats. 
Le señor Mendizábal est assez radical dans ses mesures : suppression de tous les couvents de moins de 12 religieux en juillet 1835, confiscation d'une partie des biens du clergé en février 1836, décret de suppression de tous les ordres en juillet 1836. 
Un peu plus tard, il s’attaque aux privilèges en abolissant des titres de noblesse, en confisquant les biens de l'Église et prônant la liberté de la presse et de l'édition.

Dans les années 1960, le monastère est rendu à l’ordre de Saint-Jérôme. Suite à la restauration et reconstruction, les moines s’y réinstallent en 1977. 

Juste après la petite entrée, nous arrivons dans le cloître processionnel. La cour déborde d’orangers en fleurs, le parfum qui s’en dégage est divin. 

Autour du cloître, sept chapelles, un réfectoire aux tables alignées au cordeau sous le regard protecteur de mon Saint Patron format XXXL.

Salles austères, réfectoire dénué de toute distraction, chapelles sombres, le cadre classique et un peu déprimant d’un monastère. 

Jusqu'à entrer dans l'église... 

Entre 1723 et 1735, on commande à Juan de Medina et son équipe d’immenses travaux de peinture. Ainsi, comme dans beaucoup d’églises, fi de la noirceur et de la tristesse, les plafonds et les murs sont recouverts de fresques et d’images bibliques aux couleurs vibrantes. 

Et en ce beau matin de mars, nous plongeons dans ce feu d’artifice vieux de trois siècles. C'est le festival des couleurs, des dorures, des peintures. L'œil a du mal à vouloir choisir un sujet de stupéfaction tant il a de choses à voir. 

Murs et colonnes sont décorés de scènes tirées des livres saints pour que le commun des croyants puisse se faire une idée de ce qui l'attend s'il dévie de la route tracée par la religion. 

Un Christ gisant aux plaies sanguinolentes, une Marie le visage baigné de larmes plus vraies que nature, un Saint-Michel sans armes terrassant un démon mal en point, un Saint Bartolomé en train de se faire écorcher par un malade mental, Saint-Jean (l’apôtre, pas le baptiste) sereinement en train de bouillir dans une grande marmite d’huile, Vierge des douleurs, Rois Catholiques foulant l’occupant musulman, ici les représentations sont réalistes et pour le moins violentes. 

Le grand retable est dominé par ces martyrs et par un Dieu le Père à la tignasse fournie et la barbe flottant au vent porté par un nuage d’angelots aux joues rebondies. 

Et puis, si vous avez bien lu notre périple, sachez que le célèbre Grand Capitaine et son épouse sont unis pour l’éternité dans la chapelle principale.

Une visite fort intéressante, dans un cadre hors du temps en plein centre-ville. 

Nous quittons le cloître parfumé pour à peine deux minutes de marche et franchissons les portes du Temple de la Très Pure Conception de Notre-Dame de l'Ordre Sacré de l'Hospitalité de Notre Père Saint-Jean-de-Dieu, plus communément appelé Basilica de San Juan de Dios


L'entrée coûte 10 euros avec l’audioguide, on boira deux verres de Rioja en moins ce soir, ça ne nous fera pas de mal... 

Sa construction débute en 1737, et le samedi 27 octobre 1759 on ouvre les portes aux fidèles. Un mois plus tôt, les soldats de la perfide Albion envahissaient les plaines d’Abraham... 

Nous entrons par la sacristie au plafond peint, où sont exposés les objets du culte. 
Sacres en tout genre, images pieuses, jarre d’eau bénite, bureau du patron et nombreuses peintures, dont des angelots trop mimi, occupent la vaste pièce. 

Les meubles en acajou, noyer et bronze cachent des trésors inaccessibles, les grands miroirs reflétant la lumière du jour, servaient aux religieux à se mirer et ajuster leurs vêtements richement décorés. 

Au centre, trône la calicera, une table en marbre où étaient préparés les calices et les objets du culte. La sacristie rejoint la chapelle principale par deux escaliers. 

Nous n’étions pas prêts... 

Je n'ai jamais vu une église aussi fastueuse ! 

Mais avant de nous extasier, nous installons nos céans sur un petit banc de bois mû par 4 roulettes et enfilons des lunettes de vision à 360º. Immédiatement nous nous envolons pour une visite immersive. Le banc roule, tourne et virevolte au rythme de nos petits pas. Nous sommes des oiseaux et avons accès à tous les détails de la sublime construction. En deux minutes nous faisons le tour de l’intérieur et l’extérieur de la basilique, un peu étourdis nous retirons nos casques et reprenons le fil de notre vraie vie. 

Avant de nous transformer en Smaug sur son tas d'or, qui est donc ce Saint-Jean-de-Dieu dont tout le monde parle avec déférence ?

João Cidade est né 8 mars 1495 au Portugal, non loin d'Évora
À 8 ans il suit un voyageur qui se dirige vers l’Espagne. Évidemment il perd l’inconnu et la chance vient à son secours en la personne de l’intendant d’un comte de Tolède. Il sera berger jusqu’à son adolescence. 
En 1522, il s’engage comme troufion dans l’armée espagnole. Bagarres musclées dans le nord du pays où il échappe deux fois à la mort, il est blessé et redevient berger pendant une décennie. 

En 1532 il se rengage pour batailler contre les Turcs à Vienne avant d’aller fouler les champs de bataille des Pays-Bas. 
Engagez-vous, rengagez-vous, vous verrez du pays ! 

Au retour de ces campagnes, il part au Portugal afin d’y revoir ses parents. Sa pauvre maman est morte de chagrin peu après sa fugue et son papa est également parti dans un monde meilleur. 
João retourne en Espagne et redevient berger près de Séville. 
Il sera par la suite tailleur de pierre au Maroc, vendeur ambulant et toujours aide son prochain même si lui-même n’a rien. 

À 42 ans il a LA révélation, se détache des contingences matérielles, s’habille en guenilles, passe ses longues journées en prière et mortification et la population le prend pour un fou. 
Avec ses derniers deniers, il fait agrandir l’asile qui l’héberge avec les plus pauvres et les plus dingues. 

Il fonde son propre asile en 1537, y impose de nouvelles procédures et crée les bases de l’hôpital moderne. La population ne le prend plus du tout pour un illuminé et le respect s’installe.

Dès lors, on le surnomme Jean de Dieu, et il attire à lui des disciples pour créer ce qui deviendra l’Ordre des Hospitaliers. Il ne tire aucune gloire de cette réussite, continue à vivre plus pauvrement encore, son ascétisme lui apporte visions et expériences mystiques, dont la fameuse couronne d’épines. 

Dans les derniers et rudes jours de 1550, il tente de sauver un homme de la noyade dans la rivière Genil en crue. Si lui-même ne disparaît pas dans les flots glacés, il tombe gravement malade et décède le 8 mars à l’âge de 55 ans.
Son œuvre lui survit et il sera proclamé saint en 1690 par le pape Alexandre VIII.

Il est le patron des hôpitaux, des ordres hospitaliers, des infirmiers et infirmières, des imprimeurs, relieurs, libraires et des intempérants. 


On est dans l'extravagance baroque la plus totale. 

Chaque centimètre carré est recouvert d'or ou d'argent. Les peintures de Sánchez Sarabia subliment les voûtes avec les représentations de l’Assomption de la Vierge, la naissance de Saint-Jean-de-Dieu et tout un tas de détails plus magnifiques les uns que les autres. 

Le dôme culmine à 52 mètres au-dessus du carrelage et l’anneau de 10 mètres 50 de diamètre est supporté par quatre piliers décorés de Matthieu, Marc, Luc et Jean, les quatre évangélistes. 

Quelques chapelles honorent saints et Christ, les sculptures brillent par leur réalisme. 
Ici, Saint-Jean-de-Dieu, tenant un crucifix et une bannière aux couleurs de son ordre, coiffé d’une couronne d’épines et nimbé d’argent surmonte un plateau d’or sur lequel est posée la tête décapitée de Saint-Jean-Baptiste. 

Le retable de la Chapelle Majeure est une explosion de reflets, de statues, de figures saintes, de Vierges et de Jésus, de saints et d'anges. Là, pour le coup, la rétine menace de subir un burnout de beauté. 

Au centre de ce retable, dans une urne en argent massif, sont préservées les reliques de Saint-Jean-de-Dieu, à sa base on trouve la représentation du sacrement de l’Amour via le fameux Tabernacle d’Argent. 

Par un petit escalier, nous montons au niveau le plus sacré et pouvons admirer d'en haut toute cette splendeur. 

Je suis fasciné par l’archange Saint-Michel, qui, d’une église à l’autre, voire même d’une statue à l’autre, occis toujours un diable différent. Ici, un gros brochet avec des dents de cheval. Moi aussi je lui aurais mis un gros coup d’épée à cette abomination ! 

À mille lieues de l’extase que ce décor nous inspire, André menace de pousser en bas le monsieur qui ne cesse de faire des milliers de photos en soufflant bruyamment si un intrus se met dans son champ de vision. Une salvatrice bouffée divine met fin à ses instincts belliqueux. 

Nous achevons la visite en feuilletant un grand livre, où ce que j’espère être un acteur dûment maquillé reproduit avec fidélité toutes les blessures subies par Jésus. Les photos sont troublantes de réalisme, mais nous laissons sur le présentoir ce recueil un peu hardcore. 

Franchement ce serait péché de passer à côté d’une visite de cet endroit absolument incroyable, et ce même si tu n’es point grenouille de bénitier, comme nous par ailleurs.

Retour à la chaude lumière du jour, pause café et churros, cette fois-ci généreusement trempés dans une sauce chocolatée très peu sucrée et poursuite de nos déambulations grenadines. 

Nous grimpons par les ruelles de l’Albayzín, et même un peu plus haut encore dans le clocher de la petite église de Santa María de la Aurora y San Miguel

Du sommet de l’étroite tour, j’ai une vue plongeante sur le quartier arabe, les toits aux tuiles ocres et toute la ville en contrebas. Au coin sud-est, au sommet de sa colline, l’Alhambra se détache sur fond de sommets enneigés. Presque plein ouest, les toits de la cathédrale surgissent de la masse citadine. 

Dans une toute petite pièce du clocher, quelques capirotes attendent leur sortie annuelle. Ces chapeaux pointus sont portés par les pénitents en commémoration de la Passion du Christ. 
Si certains aiment à les comparer aux chapeaux des mous du bulbe du Ku Klux Klan, ils en sont l’exact opposé puisque le capirote est d’origine catholique et que le KKK est anti-catho. Antitout en fait. 
Tout est dans tout, il faut juste bien se renseigner. 

De retour au centre-ville, nous subissons les 30° affichés. 
La ville grouille de monde, les glaciers ont des files d’attente interminables, de l’effervescence à l’état pur, et personne ne s’énerve ! 

De ce que je comprends, le célèbre glacier Los Italianos vient de rouvrir ses portes, et par pur hasard nous passons justement devant ses vitrines. 
Nous ne pouvons passer outre une dégustation, surtout que la file d’attente est pour le moins succincte. 

En fin d’après-midi, nous grimpons au belvédère San Nicolas pour admirer l’éclairage parfait de l’Alhambra avec la Sierra Nevada en toile de fond. La petite place est noire de monde, tout le monde veut le cliché parfait, pendant que les pickpockets s’activent. 

Et puis le clou de la journée se matérialise par un spectacle de flamenco aux Jardines de Zoraya, dans le quartier Sacromonte, fief des Gitans. 
Dans les ruelles étroites, mariage et costumes impeccables, ici aussi ça rit, ça chante et ça crie. 

Il existe plusieurs tablaos où ce spectacle est donné, et quel meilleur endroit que le quartier historique gitan pour y assister. 

L’origine du mot flamenco se perd en multiples conjectures, il en va de même pour sa genèse. Pourtant un consensus le fait bien naître aux alentours du XVe siècle dans le quartier de Triana à Séville et les Gitans sans l’avoir inventé, lui ont donné un style particulier. 

Si le flamenco n’est pas né dans ce quartier, il lui doit pourtant sa version baptisée Zambra.

À l’origine, la zambra est une fête maure avec des chants et des danses dont ce sont inspirés les gitans pour en faire un flamenco. La cohabitation des différentes communautés explique ce brassage que la Sainte Inquisition déclare indécent et l’interdit aux alentours du XVIe siècle.

Évidemment, il suffit d’interdire quelque chose pour que celle-ci survive en cachette et traverse les siècles à tel point qu’en 2019, la Zambra de Grenade devient Patrimoine culturel immatériel de l’humanité.


Sur la scène, assis sur des chaises, un guitariste et deux chanteurs accompagnent les danseurs.
Les pieds martèlent le plancher, les mains claquent, les voix tantôt lancinantes expriment les sentiments mêlés. Les visages sont graves ou tout en sourire. 

Le danseur au costume ajusté se jette avec violence dans la danse. 
Ses gestes sont bruts, le mouvement des membres rapide, la sueur coule le long du visage, sa tignasse sauvage est en bataille. 
Tout son corps livre un combat.

Dans la salle, les spectateurs, au début gênés de participer au spectacle, lancent maintenant des olé ! des applaudissements soutenus et des sifflements admiratifs. 

La danseuse, dans sa robe à paillettes, les épaules recouvertes d’un châle se lance sur la piste. 
Son visage est tourmenté, son sourire alterne avec des mimiques plus tragiques. 
Ses mouvements sont doux, sensuels puis deviennent violence. 
Ses talons frappent les planches avec force. 
Ses cheveux soigneusement coiffés se libèrent et volent autour de son visage. 
La danse est sauvage, très joyeuse ou d’une tristesse infinie, mais toujours avec cette énergie, cette volonté de transcender la rage. 



Encore bercés par les rythmes endiablés, nous traversons l’Albayzín et tombons sur la foule des grands soirs. Toute la ville s’est donné rendez-vous dans les rues, les avenues, les bars et les restaurants. Une marée humaine va-et-vient au rythme des feux de circulation.

Devant nous, un cortège religieux porte une Vierge illuminée par de hauts cierges suivie par des encensoirs. 
Un peu plus loin un attroupement de filles joyeuses enterrent la vie de demoiselle de leur amie, et partout les terrasses débordent. 
Les restaurants qui ont ouvert leurs portes à 20 heures sont pleins à craquer. 

Ah, mademoiselle, je te l’avais dit que nous reviendrons ! 

La barmaid du bar La Buena Vida nous accueille avec chaleur, et nous y passons la fin de journée au milieu des clients qui parlent toutes les langues, et des serveuses qui tourbillonnent dans la masse grouillante comme des feux follets.

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CLIC - CLAC, merci Cricri !

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