Dimanche 8 janvier – Santiago - Tours4Tips et coup d'état

Cette nuit a été profonde et sans interruption.
C'est l'alarme du réveil qui rappelle que ce matin, nous avons rendez-vous à 10 heures avec notre guide de Tours4Tips dont j'ai complètement oublié le nom. Mais ça sonnait russe… Appelons-là Ivana.

Tours4Tips, ce sont des jeunes étudiants qui proposent des visites gratuites et font découvrir quelques aspects méconnus de la ville. En fait, on laisse un pourboire en fonction de la prestation, en général entre 5 et 10 000$ (tous les prix sont en Pesos chilien. 10 000 $CH valent 20 $CA).

Rapide présentation de notre guide qui parle mieux anglais que nous, ensuite chacun des douze participants se présente. Nous sommes les seuls représentants de la Belle Province.

La visite commence en face du Musée des Beaux-Arts et à travers quelques ruelles au charme européen des fastes années. Nous continuons ensuite vers le Mercado Central qui est tout entièrement dédié à la vente de produits de la mer. 

En 1864, un architecte chilien projette de construire un édifice à charpente métallique, dont toutes les pièces seront importées d'Angleterre. Le montage débute en 1868, et l'inauguration officielle a lieu en 1872. L'édifice, de style Eiffel, est classé aux monuments historiques.

À travers les étals fleurant bon la marée, quelques petits restaurants proposent des plats de poissons, mollusques et crustacés on ne peut plus frais.
Le centre du magnifique édifice est colonisé par des restaurants beaucoup plus grands, plus chers et fréquentés principalement par les touristes.
Ivana nous conseille fortement de faire un tour chez Mononc' Guillaume, Tio Willy pour les intimes.
La visite continue vers le nord et le grand hall des fruits et légumes, le Mercado de Abastos Tirso de Molina. Le plafond ajouré laisse passer la lumière du jour comme à travers un kaléidoscope géant. À l'étage du bâtiment, on trouve des petits restos familiaux où on peut manger de tout, mais surtout en très grosses portions.


Nous finissons notre virée des marchés avec le très animé Vega Central, où les chalands hèlent à tue-tête les clients suivis de leurs envahissants cabas à roulettes. 
Les étals débordent de fruits et de légumes plus beaux les uns que les autres. Des effluves de coriandre se mêlent aux parfums des ananas, tombereaux de tomates, tonnes de citrons et limes, pèches, nectarines, abricots, patates douces, oignons, piments séchés et fumés, maïs noir, curcuma frais, pastèques, épis de maïs surdimensionnés, gingembre, courges, bouquets de carottes, tous types d'avocats, et des fraises partout.
Ici, c'est un peu la foire d'empoigne, ça se bouscule, crie, rie, se reconnaît, se tape dans le dos et fait des affaires entre deux OLAAAAA elle est muy linda ma salade !

Tous les fruits et légumes viennent de la région centrale du pays. Comme l'explique Ivana, le nord, c'est le désert, le sud, c'est la glace, ailleurs, c'est les vignes.

Nous quittons ce havre des sens, et descendons dans le métro le plus proche. Les deux Australiens en lendemain de veille n'en peuvent plus et quittent le groupe. Ils ont été plus endurants que je l'avais prévu.


Nous montons dans une rame de métro parisien de 1973, comme l'indique la plaque riveté dans la voiture et descendons à la station Cementerios. Notre guide nous entraîne à travers le gigantesque cimetière de plus de 85 hectares. Plus qu'un alignement de tombes et de stèles, il parle de l'histoire de la ville et du pays.

Enterrer ses morts et entretenir leur sépulture est très cher, alors certains emplacements cumulent les corps des défunts. Les familles peuvent louer à l'année et quand ils ne peuvent plus payer, c'est une autre famille qui y installe le prochain occupant. Il n'est pas rare de voir 3 ou 4 noms de familles différents gravés sur la pierre. L'une d'elles compte douze noms, et il reste de la place pour les suivants.
Dans la zone des enfants, il y a encore beaucoup de décorations de Noël et de jouets accrochés aux tombes. 


À côté des allées des centaines de tombes empilées, des mausolées immenses et ostentatoires prouvent si besoin était que même après la vie, les humains ne seront jamais égaux.
Les légendes et superstitions sont monnaie courante et la guide nous averti que si nous entendons la voix d'une femme au loin et qu'il n'y a personne autour, c'est assez mauvais signe. Je remets mon casque sur les oreilles et monte le son.

Nous nous arrêtons devant la stèle dédiée au président Allende, et, conséquence de la liberté d'expression retrouvée, Ivana se permet de nous raconter la petite histoire des tristes événements suite au coup d'état du 11 septembre 1973.

Le tout premier président socialiste du monde libre, démocratiquement élu, fait trop de vagues. Alors que la planète se prépare à la guerre froide, Salvador Allende dérange énormément les tout-puissants étasuniens. Le président Nixon voit d'un très mauvais œil qu'un gouvernement socialiste puisse exister, et pire encore, réussir.

Le blocus américain, une vaste campagne de propagande et de déstabilisation orchestrée par la CIA, sèment le trouble dans l'esprit du peuple. Alors que le gouvernement Allende mène, depuis quelques années, à bien d’importantes réformes, notamment la redistribution des terres, le peuple se met à douter. De nombreuses manifestations ont lieu, soutenues par les richissimes familles terriennes qui possèdent également les principaux organes de presse.
Le général d'armée Pinochet, soutenu par le chef de la police et les commandants des trois armées, planifie alors un coup d'état, 

Le palais de la Moneda à Santiago est copieusement bombardé pendant quinze minutes, les militaires se saisissent des membres du gouvernement et, sans aucune forme de procès, les exécutent sur le champ. 
On retrouve Salvador Allende, mort, supposément suicidé. Il aurait pu fuir avec toute sa famille quelques heures plus tôt, mais décide de rester sur place pour soutenir son peuple. Dans son dernier message radiophonique enregistré, on entend les explosions des bombes qui fracassent le palais.

Évidemment, les sombres années qui suivirent furent les pires que le peuple ait jamais vécu. Jusqu'en 1990, Pinochet, soutenu par beaucoup de pays occidentaux écrase le pays sous sa botte. Toutes les libertés sont bannies, des groupes de plus de quatre personnes sont considérés comme de potentiels conspirateurs. Près de 150 000 personnes sont emprisonnées et plus de 27 000 personnes torturées. L'excellent film Colonia, que nous avons vu un peu avant notre départ, et dont nous parle Ivana, est un bon témoignage de ces années de plomb. Il est à l'heure actuel toujours interdit sur les grands écrans du pays.

Encore de nos jours, le règne absolu, dont Pinochet s'est prévalu en modifiant la constitution, divise le peuple chilien. Si la grande majorité en a souffert, les classes plus aisées n'y trouvent rien à redire, et les puissantes familles à l'origine de la campagne de déstabilisation sont encore les mêmes qui possèdent journaux et chaînes de télé. Plus ça change…

La visite officielle est terminée, mais acceptant l'invitation de notre charmante guide, nous l'accompagnons dans un petit resto/bar où elle nous fait déguster une boisson traditionnelle qui ne paye pas de mine, mais qui doit largement mériter son nom.
Le terremoto est un cocktail à base de vin blanc, de glace à la noix de coco et d'un peu de grenadine et si on en boit trois, il paraît que le tremblement de terre annoncé se confirme.
Je n'en boirais qu'un seul, c'est un peu trop sucré à mon goût, mais j'imagine que la facilité avec laquelle descend cette boisson lui mérite sa réputation.

Nous laissons un pourboire à la jeune fille et restons dans ce restaurant pour y manger un morceau. Quand on parle de morceau, il faut s’attendre à avoir LE gros morceau.
Les portions sont énormes, mais on va finir par comprendre qu'en prenant juste un plat pour deux, on sera rassasié et on aura fait quelques économies.

Alors nous choisissons un pastel de choclo, un plat de terre cuite rempli au fond d'oignons cuits caramélisés, d'un gros morceau de poulet, d'un œuf dur et recouvert d'une purée de maïs. C'est excellent et ça tient au corps, parole de gourmand.

Nous revenons par nos propres moyens au marché, achetons ce jus de fruit qui nous a tant tenté plus tôt et marchons tranquillement vers notre quartier.
Comme la journée est encore jeune et qu'il nous reste quelques forces, nous grimpons au sommet du Cerro Santa Lucia. Petite colline, espace de verdure au milieu de la ville, elle offre une vue sympathique sur les alentours et au loin, les montagnes


En descendant, nous passons à travers le Barrio Bellas Artes, que nous rebaptisons St Germain des Près. C'est plein de petits cafés, de restos, de terrasses et de monde un peu artiste, un peu clochard, un peu guindé, c'est très vivant.
Nous traversons l'impétueux rio Mapocho qui déboule tout droit des glaciers et arrivons dans le fameux Barrio Bellavista, au pied du Cerro San Cristobal.

Réputé pour la Chascona, une maison de Pablo Neruda, mais surtout pour sa vie nocturne, ce quartier est l'épicentre de la fête à Santiago. De nombreux et immenses bars se succèdent sur la rue Constitution, mais hormis une gigantesque bière, nous n'avons aucun intérêt à traîner dans le quartier. 

Nous rejoindrons tranquillement notre appartement et admirons du 25e étage, la nuit envelopper l'immense ville. Cette journée a été particulièrement bien remplie.

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