Samedi 8 février – Kandy-Dambulla-Sigiriya en autobus 4ème classe

St Bridget's 7h00 du matin. 
Nous laissons nos gros sacs à dos à notre hôte qui nous a préparé un plan et un programme pour les deux prochains jours. Nous reviendrons passer une nuit ici avant de descendre en train en direction du Sri Pada
À 7h45 le tuk-tuk nous cherche pour nous emmener à la gare des autobus qui est un sublime modèle de bordel organisé. La petite cabine rouge se faufile du haut de ses trois roues entre les autobus en partance et les passagers qui risquent leur vie dès qu'ils franchissent le pas-de-porte de leur maison. Enfin, il trouve le quai pour Dambulla, mais le bus climatisé plus spacieux est déjà partit. 
Tant pis, nous prendrons la ligne régulière et serons cette fois en immersion complète dans le monde des vrais habitants de ce pays. Nous changeons dix fois de sièges avant que le bus ne se remplisse et finissons sur une banquette juste derrière le chauffeur. Comme indiqué sur son horaire, à 8h30 pétante, la guimbarde s'élance à l'assaut du bitume, mais il faut d'abord commencer pas s'extraire de ce bourbier où des masses de métal rouillé entrent et sortent sans que l'on puisse en saisir la moindre logique. Il faut que j'arrête de penser comme un occidental ! 

Si je devais me réincarner, il est une profession que je ne voudrais pour rien au monde : cantonnier au Sri Lanka. Les piétons sont en danger permanent alors qu'ils sont sur des trottoirs, traversent aux passages réservés et regardent 50 fois avant de franchir la moindre ruelle. Mais les employés de la voirie ne sont abrités que par un tout petit gilet orange, qui, tout fluo qu'il soit ne doit pas beaucoup les protéger d'une collision avec un bus qui tente 
par tous les moyens de passer devant le véhicule qui est devant lui. 

L'autobus est maintenant plein à craquer, tous les sièges sont occupés, l'allée centrale et les espaces devant les portes sont envahis de passagers debout. Mais aucune moue dépitée, pas d'énervement ni de signe d'impatience si ce n'est mon incontinent voisin. Le chauffeur trempe régulièrement le bout de son doigt dans de la poudre de chaux et le suçote en mâchonnant ses feuilles de bétel. Il crache sa salive rouge par la fenêtre sans s'inquiéter de savoir si un piéton ou un motocycliste est en dessous et risque de finir avec un bon gros sploutch écarlate sur le front. C'est assez dégueulasse, mais si ça le tient alerte moi ça me convient... 
Au bout de deux heures de course effrénée alors que nous sommes depuis un bon moment passés devant des pancartes indiquant Dambulla je fais signe au vendeur de tickets et lui demande où est le temple de la grotte. Il me dit que c'est derrière nous, il a dû oublier que c'est là que nous voulions sortir... Nous attrapons nos sacs et sautons du bus avant d'arriver dans un autre bled.

Nous prenons un transport pour accéder au site du temple du Rocher Royal qu'il est impossible de rater puisque une énorme porte dorée des plus kitsch ouvre grand sa gueule en dessous d'un immense Bouddha géant qui domine toute la vallée. Passant par l'inévitable ticket office où il faut se délester de quelques 1500 Rp (12,75$), nous commençons à gravir les premières marches sous le regard indifférents de singes voleurs. Quelques marchands de souvenirs tentent de nous brader des bricoles et rapidement, nous nous élevons au-dessus de la plaine. Il commence à faire sérieusement chaud et nous sommes heureux de ne pas avoir à traîner nos gros sacs. 
En une vingtaine de minutes, nous arrivons à l'entrée du temple et présentons nos tickets à l'employé. Il vaut mieux ne pas avoir oublié de les acheter, sinon c'est retour à la case départ ! 

Plusieurs grottes longent l'immense rocher et dans chacune plusieurs bouddhas prennent place. Une statue de Bouddha couché de 15 mètres de long trône dans la première grotte. Les quelques grottes abritent toutes des statues de Bouddha, quelques-unes de Vishnou lui tiennent compagnie, des peintures ornent les plafonds, l'endroit est très fréquenté par les pèlerins locaux. La vue du haut de cette montagne est superbe et mérite le petit effort qu'elle exige. 
Une jolie vieille dame est toute décontenancée parce qu'un singe lui a volé le régime de bananes qu'elle venait juste d'acheter. Elle m'explique dans sa jolie langue fleurie et avec moult gestes ce qui vient de se passer, et je comprends lorsqu'elle lève son petit poing hargneux vers la bête que la sagesse bouddhiste à ses maudites limites. 

Ce qu'il y a de pire avec une montée difficile, c'est la descente. Il est strictement interdit de glisser ou de trébucher sur les marches inégales sous peine de finir en petits morceaux un peu plus bas. Et ce sont les cuisses et les genoux qui prennent tous les coups de cette prudente descente. Ce n'est que la première et la plus facile de ces prochains jours... 

Nous montons dans un tuk-tuk pour aller au terminus des bus et prendre le premier transport en direction de Sirigriya. Évidemment, nous ne nous attendons pas à du luxe et c'est exactement ce que nous aurons. Des sièges qui ont connu l'occupation anglaise, de la poussière qu'il faudrait dater au carbone 14, mais encore et toujours, ces grands sourires qui nous accueillent à chaque fois. 
Beaucoup de touristes que nous avons croisés sont confinés dans d'immenses bus modernes et climatisés ou en voiture avec un chauffeur privé, alors quand les locaux voient deux têtes étranges avec une peau trop blanche ça les étonnent et les fait sourire. Enfin le bus s'en va, la chaleur est étouffante et le peu d'air qui franchit les fenêtres est avalé goulûment. Nous ne sommes qu'à 20 kilomètres, mais à peine partis, nous faisons un arrêt mystère pendant 30 minutes. Finalement après le vrai départ, nous mettrons une quarantaine de minutes, mais il faut rester vigilant et se débrouiller pour repérer l'endroit où il faut descendre sinon, c'est direct pour le terminus. 

Par chance je regarde au moment où on passe devant une guesthouse dont j'avais par hasard retenu le nom, je lance un regard au vendeur de tickets qui me comprend et fait arrêter le bus qui de toute façon ne roule pas à plus de 35 km/h, les sacs sont attrapés au vol et nous voilà dans la rue. Je me demande où nous aurions fini. Il reste une chambre dans un bungalow de cette guesthouse, mais à 50$ c'est un peu exagéré, alors nous traversons la route. Par chance cet endroit est pas mal touristique et les endroits pour dormir ont fleuris comme la mauvaise herbe après la pluie. 

Le Flower Inn porte bien son nom. Le jardin regorge de fleurs, mais les plus originales se trouvent dans les grandes chambres. Des dizaines de fleurs en plastique sont disposées un peu partout, sauf sur le lit où trône une magnifique peluche bleue et des coussins qui ont reçu des centaines de têtes avant nous. Heureusement, la propriétaire est super sympathique, les chambres pas trop propres et pas trop chères et nous ne voulons pas commencer à parcourir le bled à la recherche de la bonne affaire que jamais nous ne trouverons. Le lit est grand et le matelas est un simple morceau de mousse recouvert d'un drap qui semble propre. Une moustiquaire rose est suspendue au-dessus et les fenêtres donnent sur un petit jardin presque entretenu. Le chauffe-eau fonctionne aléatoirement, mais l'eau froide ne l'est pas tant, surtout en fin de journée. 

Puisque le site est aux dires de la propriétaire à peine à dix minutes de marche, nous partons à pied. Mais il est l'heure de manger, alors nous nous arrêtons devant un large sourire qui sévit derrière une grosse plaque chauffante. Les inscriptions au marqueur sur les murs sont dithyrambiques, les langues de tous les pays s'extasient devant ce menu qui pourtant n'en mène pas large avec ses feuilles déchirées et ses pages volantes. 
Ne pas se fier aux apparences, le kottu roti est effectivement excellent chez Chooli's. La maman est devant le fourneau et à l'aide de deux grosses spatules métalliques fait la fête aux lanières de crêpes qu'elles sectionnent dans un bruit de mitraillette et les mélangeant aux légumes.

Tacatactactactac, elle y met du cœur la jolie brunette avec tous ses enfants qui traînent dans son sari. Son plus grand prend le relais et devient la star des passants qui vont forcément s'arrêter manger sinon boire un délicieux jus frais. Avoir une grosse faim est une chose, avaler un kottu roti en est une autre. Il faut finir toute l'assiette et ce n'est pas une mince affaire, c'est plutôt consistant, mais tellement délicieux. Par contre, il faudrait plus prévoir une sieste après de telles agapes au lieu de gravir une montagne. Nous n'avons pas choisi la sieste et la montagne a été vaincue dans les affres de la digestion.

En dix minutes exactement nous arrivons devant l'entrée du site de Sigiriya, mais les Françaises croisées un peu plus tôt nous parlent d'une autre montagne qui parait-il vaut le détour.  En trente minutes de marche intensive sous le soleil le long des douves à crocodiles, nous arrivons au pied du temple de Pidurangala. Il nous en coûte 300 Rp pour accéder aux premières marches. D'après le gardien, il nous faut au moins 1 heure pour gravir la montagne alors que dans le guide de notre jeune parisienne ils évoquent à peine 20 minutes. De toute façon, il n'est que 15 heures, le soleil se couche dans trois heures, ça devrait nous laisser tout le temps nécessaire pour faire cette balade. 
Les premiers escaliers sont vraiment raides, il fait chaud et humide au milieu de cette jungle et nous ne tardons pas à souffler comme des asthmatiques en pleine crise. Rien n'est vraiment aménagé, il faut se glisser entre les gros rochers, suivre une piste à peine tracée et se fier au petit chien qui nous précède. Nous arrivons devant un Bouddha couché, le corps encore recouvert de sa gangue de plâtre chaulé, les orteils et la tête bruts de briques rouges. Sa tête aux yeux fermés repose sur sa main et sur un oreiller décoré d'une fleur de lotus. Voir une telle statue dans un lieu perdu loin de tout brouhaha touristique mérite bien quelques efforts. 
Notre guide à quatre pattes agite le bout de sa queue dans ce dédale et dans un dernier effort, nous atteignons le sommet. Je ne peux m'empêcher de pousser un hurlement. La joie et la délivrance après tous ces efforts et enfin la récompense. C'est exactement dans ces instants-là qu'on sait pourquoi on en a bavé. Jamais je n'aurais ressenti la même chose si ça avait été facile et rapide. 

Le soleil commence à décliner de son zénith, la lumière est chaleureuse, le ciel immaculé et je suis en cet instant précis seul au monde. Ce monde qui est à mes pieds sous ce qui ressemble à un gigantesque pont de bateau. Le rocher s'étend de toute sa masse au dessus de la forêt qui s'étend à perte de vue, tout est complètement dégagé aussi loin que porte le regard. En face de nous vers le sud, à quelques battements d'aile s'érige le rocher de Sigiriya, qui du haut de ses 370 mètres nous toise et nous attend demain matin. D'ici, nous voyons les grimpeurs gravir les dernières marches, procession lente de tous petits humains sur le monumental roc. 
Mais pour l'instant nous sommes seuls, quelques curieux qui sont allés voir plus loin que la file des autobus et nous profitons de ce privilège. J'arrive tout au bout, sur la proue de ce vaisseau minéral posé sur un lit de verdure. Le vent souffle par tribord, les eaux sont calmes, je ferme les yeux et me sens transporté sur un océan de plénitude. 
Si je n'avais pas été aussi touché par mon moine à ficelles et les prières des fidèles du Temple de la Dent, j'en remettrais une petite couche. Mais là, c'est trop d'émotions en trop peu de temps... 
Nous prenons le temps d'admirer ce paysage sublime et devons à regret commencer à penser à la descente. Le retour dans la lumière dorée de cette fin d'après-midi sera l'apogée d'une journée bien rempli. Le drôle de gros tronc qui flotte dans les douves est bien un crocodile, ce qui n'empêche nullement les gens de s'y laver ou d'y faire leur lessive. 

Recouverts d'une pâteuse couche de sueur et de poussière, nous ne rêvons que d'une douche, aussi froide soit-elle.


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