Une matinée au marché d’Ubud et un légendaire Bebek - lundi 1er mars

Une nuit au chaud, un ventilateur mal réglé, des lits trop éloignés, un matelas ayant un peu trop vécu, un simulacre d’orage et pas de pluie. Super nuit !

Ce matin à 6 heures j’étais d’attaque pour découvrir l’île au complet et sa large banlieue, mais j’avais piscine alors j’ai pas pu y aller.

Avant piscine, nous avions rendez-vous au marché avant l’arrivée des autobus de Chinois mal élevés. Le marché alimentaire qui pue beaucoup en fin de matinée en est à ses prémices et sent encore les légumes et les fruits frais. Il y fait un peu chaud et le poulet éviscéré va bientôt changer de couleur, tandis que la tête de babi déjà cuite est presque appétissante.

Je cherche vainement un couteau, genre machette qui coupe une noix de coco en deux aussi efficacement qu’Excalibur fendait les roches sacrées des landes celtiques, mais les seuls coutelas que l’on me propose sont à peine capables de couper du beurre à température ambiante ! Ou alors on me présente un poignard style Rambo en colère juste bon pour aller chasser le sanglier sauvage de Sumatra…
J’ai beau leur mimer ma façon de trancher une noix de coco, ça les fait beaucoup réfléchir et en échange ils me proposent de me vendre des sarongs, des épices, des t-shirts de Bintang ou des zounes ouvre-bouteilles… Las, je fuis !

C’est maintenant que nous profitons du beau bassin bleu clair, incrusté dans son écrin de verdure, un bain de jouvence, la jeunesse éternelle, une thérapie contre la chaleur.

Nous partirons volontairement nous perdre dans la campagne au nord d’Ubud, et tombons par hasard sur Petulu, le village des hérons et des aigrettes, où pour une obscure raison que personne n’explique, les laiteuses volailles ont élues domicile.

La promenade le long de la route est un danger permanent, car des dizaines de ces gracieux oiseaux sont hauts perchées dans les arbres et ne se privent pas de marquer leur territoire de leurs énormes fientes blanches. 
L’autre activité du village consiste à fabriquer des cadres en bois, des heures et des heures de plaisir, papier de verre à la main, pour garnir les magasins occidentaux qui leur reverseront un bénéfice merdique juste bon à les maintenir en vie, mais suffisamment pauvres pour qu’ils continuent leur labeur sans se plaindre.

La route qui monte d’Ubud vers le nord est parsemée de boutiques où l’on trouve de tout, et je me rends compte à présent que le bel artisanat que l’on retrouve dans certains commerces du terroir viennent probablement d’ici.
Des capteurs de rêves amérindiens, des didjeridoos aborigènes, des peintures autrichiennes, des girafes africaines, des statuettes cubaines, de toute façon tout peut être fait sur demande.
On trouve quand même quelques merveilles et nous tombons en arrêt sur deux magasins spécialisés dans la confection de meubles en bois et nous nous poseront sérieusement la question d’un envoi massif par cargo.

Par chance nous n’avons plus le temps de nous occuper de toutes les formalités qui doivent prendre un peu plus de 4 jours, et des plages nous réclament avec impatience.
Il est temps de rendre la moto, pas de problèmes, pas d’accident, même pas la moindre éraflure, juste un peu sale, et le plein d’essence.

À 19 heures 30 nous nous rendons chez Roda où notre bebek betutu nous attends.
Un gros bol de riz fumant, des galettes de crevettes, une salade d’haricots et noix de coco précédent sa majesté Canard.
Un plat dans lequel repose, dans son immense feuille de bétel, un canard cuit à l’étouffée pendant 12 heures.
L’animal est entier, enfin sans les pattes, la tête et les entrailles et les arômes qui s’en échappent font mugir nos estomacs.

Piochant allégrement dans le plat de nos doigts impatients, nous nous régalons de la bête que nous avons commandée la veille. Celui que nous nommons monsieur Roda, mais qui ne l’est pas puisque l’original est décédé, vient nous conter la belle histoire de cette recette.
D’ailleurs dans ce restaurant les recettes se transmettent de générations en générations et, comme presque dans tous les lieux où nous avons mangé, rien n’est préparé à l’avance et le temps d’attente prouve que tout est cuit minute.
Alors la belle histoire du Bebek Betutu (Bebek c’est pour canard et Betutu pour four).

En fait ce canard n’est pas cuit au four, mais à l’étouffé. Il est d’abord plumé et le plumage d’un canard n’est en rien comparable à celui de la poule. Les plumes du palmipède sont raides et très difficiles à arracher, voilà pourquoi le ou la plumeuse s’octroie les entrailles de la bête en plus d’un salaire.
Ensuite, l’animal est farci d’herbes et d’aromates, puis scellé dans une feuille de bétel, une feuille très résistante dont certains se faisait des sandales.
Le paquet est ensuite recouvert d’écorce de riz où l’on jette une allumette et on recouvre le tout d’un gros couvercle de terre cuite. Ainsi, sans flamme, le combustible va se consumer doucement et cuire le délicieux bebek à la perfection.

Le plat que l’on trouve partout à Bali est originaire d’Ubud, et c’est le cousin alcoolique de monsieur Roda qui se charge, lors de ses périodes de sevrages, de le faire cuire suivant l’exacte méthode familiale ancestrale.

L’histoire est longue mais pour résumer : 
le grand-père était roi d’Ubud jusqu’en 1950. Il avait une terrasse qui donnait sur le marché d’où il faisait sa sélection de demoiselles, et son goût prononcé pour les plaisirs de la chair lui apporta 8 enfants. L’un devint un grand magistrat réputé qui finira même premier ministre, un autre devint le premier ingénieur en mécanique de l’île, cinq firent leur vie, et le dernier devint joueur invétéré et gastronome.
Il fut un joueur heureux puisqu’il gagnait plus qu’il ne perdait, mais sa passion pour la nourriture lui fit perdre plus d’argent qu’une roulette malchanceuse. Il fini donc pauvre et dû vendre ses terres pour se renflouer. Un de ses fils suivi son exemple, mais en plus d’être joueur malchanceux, pas comme son heureux papa, il tomba à corps perdu dans les affres de l’alcool. Hé bien c’est lui qui à fait cuire notre canard !
Si c’est pas une belle histoire ça ?

Nous traversons la route, le corps et l’âme rassasiés et irons nous coucher, des légendes de roi frétillant, d’épouses comblées, de parties effrénées de Black Jack et de litres d’arak (l’alcool de palme assassin) plein les rêves.


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