Samedi 25 février – SPA – Salar de Tara, sous la protection du Gardien

Cette nuit, le temps a été exécrable. La pluie s’est même invitée dans notre chambre en passant sous la porte. Ce matin les éléments se sont calmés, seule subsiste une belle couverture nuageuse qui bouche le ciel, mais nous gardons espoir.

Notre guide Santiago vient nous récupérer et nous grimpons immédiatement plus près du ciel. La route 27 qui relie la grande ville d’Antofagasta à l’Argentine, moyennant quelques circonvolutions et importants dénivelés est une route très fréquentée par de gigantesques camions qui ont automatiquement priorité sur tout ce qui roule.

Nous faisons une première halte au pied du géant, le volcan Licancabur encerclé par les nuages. Santiago nous explique que l’ALMA, (Atacama Large Millimeter/submillimeter Array) installé à quelques kilomètres vers le sud a été le plus grand radiotélescope du monde. Bien sûr, la Chine a depuis 2016, battu ce record, mais c’est un autre voyage.

Nous continuons de monter vers les immensités désertes enneigées de l’Altiplano. L’altimètre installé sur mon téléphone indique 4 862 mètres, il est temps de faire une petite pause pour courir dans la lande !
En fait, juste descendre les trois marches du véhicule demande un effort pour nos corps, et les quelques pas que nous parcourons témoignent du cruel manque d’oxygène à cette altitude.
Le ciel est voilé, mais nous sentons les rayons du soleil chargés de radiations UV agresser notre peau, sensation beaucoup moins agréable que sur une plage.

La route poursuit son bonhomme de chemin le long de la frontière avec la Bolivie. Nous redescendons à des altitudes plus oxygénées et faisons une première halte sur les rives d’une grande fondrière, au Mirador Quebrada Quepiaco.


Des guanacos broutent avec gourmandise l’herbe grasse en déambulant avec la plus grande élégance au travers des flaques d’eau. Des flamants plongent leurs becs croches dans la vase à la recherche de quelques pitances, un petit moineau ébouriffé vient quémander quelques miettes de pain.
Le décor est somptueux, le vert tendre et pâle du marais tranche avec les nuances d'ocre du paysage désertique alentour.
Les guanacos se laissent doucement approcher, mais je conseille quand même l’utilisation d’un bon téléobjectif pour saisir leur bouille attachante.

Nous nous préparons à quitter cette oasis de quiétude lorsqu’un goupil vient titiller notre curiosité. En suivant son regard, nous nous rendons compte que de l’autre coté de la route, sa femelle tente de rassembler sa descendance et nous voyons surgir une jolie petite tête curieuse entre les rochers.


Santiago nous arrête ensuite au bord d’un lac où les reflets des montagnes sont irréels et magiques. Sauf aujourd’hui. 
Seules les variantes de gris du ciel osent se mirer sur les eaux sombres du petit plan d'eau, et les sommets enneigés qui nous encerclent nous rappellent qu’ici, c’est l’hiver en plein été.


Vingt-cinq kilomètres plus loin, nous arrivons dans le secteur des Monjes de la Pacana, les Moines de la Pacane… Autant, je devine pourquoi l’on appelle ces dizaines de formations rocheuses des Moines, mais je me demande où sont les pacanes. Probablement une traduction approximative espagnole d'un mot de la langue quechua.

Qu’importe, ce lieu est magique, et le devient encore plus lorsque l'on sait que nous sommes dans le cratère d’un des plus gigantesques super-volcans que notre planète ai porté.
Nous sommes subjugués par ce qu’il est devenu au fil des millénaires et constatons que rien ne peut résister à l’érosion du vent et de l’eau.

Seuls quelques invincibles subsistent. Magma suffisamment dur pour lutter contre les assauts incessants des éléments, et qui, pour notre grand plus grand bonheur se sont transformés en monolithes mystérieux.
Pour veiller sur cette troupe monastique, l’immense Gardien de Tara, observe de son regard austère les minuscules humains que nous sommes. Seul un léger sourire au coin de ses lèvres minérales nous confirme qu’il s’agit d’une attitude, mais que sa bienveillance est réelle.

Piton rocheux d’une bonne dizaine de mètres de hauteur, draperies minérales sculptées par les éléments, planté seul au milieu d’un désert extraterrestre, il est facile de comprendre pourquoi ce survivant des dernières explosions volcaniques ai pu engendrer légendes et croyances.
Même pour nous, occidentaux cartésiens et rationnels, le Gardien impose le respect et nous force à parler à voix basse comme dans une immense cathédrale à ciel ouvert.

Au fond de la vallée, s’étend la Laguna Aguas Calientes et plus loin l’immensité du désert tente de toucher le ciel.
Nous quittons tranquillement ces lieux où les rochers sont torturés et quittons la route pour nous enfoncer dans l’inconnu.
Enfin, pas de Santiago, ni de Gabriel, j’espère…

Sur le sable, plusieurs traces de roues nous informent que nous ne sommes pas les premiers à passer par ici, mais nous ne verrons pas âme qui vive pendant toute notre aventure.

Toujours encerclés par les sommets enneigés des volcans, nous franchissons dunes et plaines en direction du Salar de Tara.

À notre gauche, s’étendent les Cathédrales, suivies par les Orgues. Partout, dans le monde, sur terre ou sous l’eau, les rochers ont toujours été baptisés. Ça doit rassurer les humains de pouvoir mettre des noms sur des cailloux, peut-être dans l’illusoire but de croire pouvoir maîtriser les éléments.

Enfin, après quelques kilomètres, nous arrivons à l’aplomb du Salar.
Le paysage est extraordinaire. Le regard est attiré par mille points de vue, les sens sont en éveil et la contemplation de rigueur.
Santiago nous dépose sur les hauteurs du lac et nous attendra sur ses rives pour la pause casse-croûte.

Devant nous, s’étend le grand salar aux eaux de plomb encerclé de talles d’herbe grasse et tendre. 

Derrière nous, le ciel commence à montrer des signes de colère. L’horizon change rapidement de forme et de couleur. Le ciel va nous tomber sur la tête, mais en attendant nous admirons le spectacle de ces pinacles ocres illuminés par le soleil, se découper sur cet horizon de fin du monde.


Des touffes d’herbe jaunie, disséminées sur le sol sablonneux ajoutent de la magie à cet instant unique.

Du côté de l’Argentine ça commence à chauffer sérieusement. Des éclairs fendent le ciel, des nuages noirs comme l’enfer déversent des trombes d’eau, l’horizon devient flou et se voile.
Nous sommes complètement subjugué par le spectacle grandiose, mais un coup de klaxon au loin nous rappelle que nous sommes attendus pour les agapes.


Sur le sentier, un mouvement furtif dans les buissons au bord du lac attire notre regard. D’un terrier, surgis une tête de peluche curieuse. La bestiole nous regarde sans vraiment avoir peur, sachant que son terrier, qu’elle ne quitte pas, est un refuge inexpugnable où les gros humains maladroits que nous sommes n’auront jamais accès. Et puis j’imagine que depuis des générations cette charmante bestiole ne doit pas bien craindre l’homme qui préfère chasser son semblable.

Un petit tour sur Internet, m’informe que l’animal est surnommé chululo ou tuco-tucos (Ctenomys fulvus) et, est un cousin éloigné de la marmotte et du viscache. Un rongeur qui vit en colonie proche d’un point d’eau et qui a pour seul but de transformer le sous-sol en gigantesque labyrinthe de tunnels. Il vaut mieux voir cette bestiole au fin fond d’une plaine des hauteurs andines que le fond de son jardin.
Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, sa voisine, un petit mulot tout droit sorti d’un dessin animé, miss Pericote (Phyllotis andium) vient faire une visite de politesse. Quelques badineries, des regards timides dans notre direction et chacun regagne son terrier, nous laissant rallier le nôtre.

Santiago et Gabriel ont installé un barbecue près du refuge des gardes du parc et sur une petite table, quelques salades attendent les convives. Les grillades embaument l’air de leurs fumets gourmands, et les bouteilles de carmenères se débouchent en de joyeux pop.
Mais le ciel nous rattrape, il fait noir comme dans le fourneau du Diable, rien de bon ne vient du nord et des montagnes.

Nous donnons tous un coup de main pour ranger le matériel et finirons notre pique-nique dans le minibus. L’ambiance est bonne, nous ne pouvons rien contre les éléments, mais avons définitivement rayé de notre vocabulaire : Atacama, désert le plus aride du monde.

Aussi rapidement que la géographie des lieux le permet, nous rejoignons l’asphalte de la Ruta 27 et rentrons en direction de San Pedro.
Au fur et à mesure de notre ascension vers le col perché à plus de 4 800 mètres, la pluie se transforme en neige. Des flocons gros comme des assiettes à tarte viennent se jeter sur le pare-brise et y restent. Le système d’essuie-glace est tombé en panne hier…
S’ensuivent de très longues minutes de silence que seules les cliquetis des ceintures de sécurité des passagers viennent troubler. Même notre loquace guide se tait et se concentre sur son rôle de copilote. 
Gabriel doit conduire avec une partie du corps à l’extérieur pour tenter de deviner la route. Un chiffon balaie de temps en temps une partie du pare-brise pour y voir quelque chose. Le silence est aussi total que le stress.

Enfin, nous sentons que l’altitude décroît et que la neige se transforme à nouveau en pluie. Déluge biblique serait un terme plus approprié...
Les langues se délient, tout le monde respire et la parole se libère. Santiago se confond en excuses pour le dysfonctionnement de son matériel, mais nous sommes tous sains et saufs et ça fera une anecdote de plus à raconter.

Le spectacle dans la vallée est dantesque. Les lits de rivières totalement asséchés ces derniers jours sont remplis d’eau boueuse et les eaux furieuses ont envahit plaines et routes.
D’ailleurs, en raison de ces conditions extrêmes, les excursions du lendemain sont annulées pour tous les opérateurs de San Pedro.
En 2013, déjà, de fortes précipitations avaient fait de gros dégâts, mais la violence des pluies de ce 25 février est exceptionnelle. Les épisodes de mauvais temps dû au phénomène de l’hiver altiplanique ne sont pas nouveaux, mais leur récurrence et leur violence sont de plus en plus inquiétants.

Nous saluons tous nos compagnons de voyage, remercions très chaudement Santiago et Gabriel, et je recommande très fortement de choisir Rancho Chago pour vos escapades atacamesques !

Dans le village, l’adobe des maisons forme des larmes boueuses sur les murs chaulés. D’immenses flaques limoneuses obligent à slalomer dans les rues et rapidement les semelles de nos chaussures se lestent de quelques kilos de boue ocre et collante.

Un dernier petit tour de village, un bon souper dans la succursale de Las Delicias de Carmen sise sur la rue Caracoles, et avant qu’un autre morceau de ciel nous tombe sur la tête, nous regagnons le havre de notre chambre afin de préparer nos sacs.
Demain, réveil aux aurores pour sauter dans le bus en direction du village de Caldera, où la chaleur, le soleil et l’océan Pacifique nous attendent.

.....

Le bilan de ces quelques jours passés à San Pedro de Atacama ?
Il faudrait être fou pour passer à coté ! Tomber en pâmoison devant ces paysages somptueux, la toute puissance de cette nature intense, des éléments incontrôlables et démesurés, admirer la résilience des habitants de ce gigantesque désert qui s'étend sur 4 provinces chiliennes et une partie du Pérou. Rien de moins que 105 000 km2 (10 500 000 hectares) de sable, de rochers et de vent... De quoi s'offrir une retraite spirituelle du tonnerre !
Je termine avec quelques photos pour vous donner envie de parcourir une toute petite partie de cette magnifique planète.




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...